15e Novembre [1760]
Je vous ai écrit, Monsieur, par Mr D'Argental, aparament que vous n'aviez pas encor reçu ma Lettre à la datte de la vôtre du 5e Nov: Mr d'Argental était, je crois, alors à la campagne; je doute fort qu'on ait imprimé Tancrède dans les provinces; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on ne peut pas imprimer ma Tragédie puis qu'elle n'est pas achevée, et que je la corrige encor tous les jours.
Je ne sçais pas quand les comédiens la rejoüeront. Il y a plus de cent vers dans mon manuscrit différents de la pièce qui a été joüée; comme je n'étais pas sur les lieux, les comédiens ont pris sur eux de changer mon ouvrage comme ils l'ont voulû; si vous l'imprimiez telle qu'elle a été joüée vous donneriez une pièce toute déffigurée, dans la quelle on a été obligé de mettre à la hâte des vers qui pèchent contre la langue et contre la poësie; cette démarche serait très désagréable pour vous et pour moi. Je serais d'autant plus obligé de désavoüer la pièce, qu'elle ne doit paraître qu'avec une très longue dédicace à made la marquise de Pompadour. Cette dédicace qui sert aussi de préface, a été vüe par made de Pompadour, et par ses amis. Ce serait leur manquer à tous que de leur avoir envoié cette dédicace sans l'imprimer; on serait, avec raison, très mécontent de vôtre précipitation.
Je vous conseille d'engager madlle Clairon, à reprendre, sans délai Tancrède, afin que vous puissiez l'imprimer sur le Champ; je saisirai toujours avec empressement toutes les occasions de vous faire plaisir.
V. t. h. ob. str.
Au reste je n'ay jamais mis mon nom à aucun de mes ouvrages. Je ne le mets pas même à la fin de mon épître à made de P. On sait assez que Tancrede est de moy.
J'ajoute encor que le manusc. que je viens d'envoier à mr Dargental est chargé de notes marginales instructives, qui contribueront à votre débit.
V.
aux Délices