aux Délices 12 septbre [1755]
Je vous envoie Monseigneur à la hâte, et comme je peux votre filleul l'orphelin dont vous voulez bien être le parain. Ce sont les premiers exemplaires qui sortent de la presse. Je crois que vous joindrez à touttes vos bontez celle de me pardonner la dissertation que je m'avise toujours de coudre à mes dédicaces. J'aime un peu l'antique, cette façon en a du moins quelque air. Les épîtres dédicatoires des anciens n'étaient pas faittes comme une lettre qu'on met à la poste, et qui se termine par une vaine formule. C'étaient des discours instructifs. Un simple compliment n'est guères lu, s'il n'est soutenu par des choses utiles.
Il y a la fin de la pièce une lettre à Jean Jacques Roussau que j'ay cru nécessaire de publier dans la position où je me trouve.
Je suis honteux de vous entretenir de ces bagatelles lorsque je ne devrais vous parler que du chagrin sensible que m'a causé la perte de votre procez. Je ne sçais pas si une pareille décision se trouve dans l'esprit des loix. J'ignore la matière des substitutions. J'avais seulement toujours entendu dire que les droits des mineurs étaient inviolables, et à moins qu'il n'y ait une loi formelle qui déroge à ces droits, il me parait qu'il y a eu baucoup d'arbitraire dans ce jugement. Je ne puis croire surtout qu'on vous ait condanné aux dépens, et je regarde cette clause comme une fausse nouvelle. Je n'ose vous demander ce qui en est. Vous devez être surchargé d'affaires extrêmement désagréables. Il est bien triste de succomber après tant d'années de peines et de frais dans une cause qui au sentiment de Cochin était indubitable, et ne faisait pas même de question. Vous êtes bien bon de me parler de tragédies et de dédicaces, quand vous êtes dans une crise si importante. C'est une nouvelle épreuve où l'on a mis votre courage. Vous soutenez cette perte comme une colonne anglaise. Mais les canons ne peuvent rien icy, et ce n'est que dans votre belle âme que vous trouvez des ressources. C'est à cette âme noble et tendre que je serai attaché toutte ma vie avec les sentiments les plus inviolables et les plus respectueux. Vous savez que ma nièce pense comme moy.
V.
Permettez que je revienne à la pièce qui est sous votre protection. Je vous demande en grâce qu'on la joue à Fontainebleau telle que je l'ay faitte, telle que madame de Pompadour l'a lue et approuvée, telle que j'ay l'honneur de vous l'envoier et non telle qu'elle a été défigurée à Paris. En vérité je ne puis concevoir comment elle a pu avoir quelques succez avec tant d'incongruitez. Il faut que mademoiselle Clairon soit une grande enchanteresse.
Lambert vous présentera de ma part des exemplaires un peu plus propres.