1760-09-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Madame Scaliger vous êtes divine, vous nous avez donc secourus dans la guerre, vous avez payé de votre personne.
Vous avez pansé les blessez et mis les morts à quartier. C'est à vous que la dédicace devrait appartenir.

Mes divins anges nous jouâmes hier Alzire, nous allons rejouer Tancrede. Nous sommes à l'abri des cabales. C'est baucoup. Nos plaisirs sont purs. M. le duc de Villars, grand connaisseur, nous encourage. Notre téâtre commence à être en réputation. Brioché n'avait pas si bien réussi chez les Suisses. Envoyez nous donc la pièce telle qu'on la joue à Paris. Vous donnez l'indiscret. La pièce n'est elle pas un peu froide?

Le comique écrit noblement
Fait bailler ordinairement.

Si Tancrede avait un plein succez, il faudrait hardiment donner la femme qui a raison, car qu'elle ait raison ou non elle est guaie, et la morale est bonne. Il y a baucoup de coucherie, mais c'est en tout bien et en tout honneur.

Il faudrait que madame de Pompadour fût une grande poulle mouillée pour craindre une fière dédicace. Pardon divins anges de mon laconisme. Il faut marier demain notre résident de France dans mon petit châtau de Fernex. Nous sommes occupez à imaginer une façon nouvelle de dire la messe, et je vais répéter deux rôles, Argire et Zopire. La tête me tournera si je n'y prends garde.

Je baise le bout de vos ailes humblement.

V.