O divins anges, jugez si je suis fidèle à mon culte.
Je vais jouer Zopire, j'ay deux cent personnes à placer, je fais copier Tancrede, je vous écris. Où avez vous pèché mes anges que j'avais un peu d'amertume, quand je suis pénétré de vos bontez?
Je vous enverrais aujourduy Tancrede, si j'avais seulement le temps de faire un paquet. Qui, moy, de l'amertume — parce que j'ay pris le parti du 3e acte et que j'ay cru que le Kain me l'avait saboulé! Pour dieu laissez moy mon franc arbitre. Encor faut il bien que j'aye mon avis. Dieu a permis à ses créatures de dire ce qu'ils pensent. Mon cher ange mandez moy je vous prie où l'on en est de ce Tancrede, quel party on prend.
J'ay envoié un long mémoire à Clairon par Versailles — je vous écris aussi par Versailles. Je ne veux pas ruiner mes anges par mes bavarderies. Nous jouons donc Mahomet aujourdui. N'a t'on pas fait cent critiques de Mahomet? Cela empêche t'il qu'elle ne doive faire un effet terrible, quelle ne doive déchirer le cœur? Ah Gossin, Gossin, si vous aviez la centième partie de L'âme de made Rillet! si on avait eu un Seide! Pauvres parisiens vous n'avez point d'acteurs qui pleurent.
J'ay un petit mot à vous dire mes anges; c'est que presque touttes vos tragédies sont froides, et vos acteurs aussi, excepté la divine Clairon, et quelquefois le Kain. Mes yeux se sont ouverts, mais trop tard. Je mourrai sans avoir fait une pièce selon mon goust.
M. le duc de Choiseuil vous a t'il montré la facétie de ma dédicace?
Avez vous reçu un Pierre?
Madame Scaliger ne soyez donc pas fâchée contre moy. C'est que je suis à vos pieds, c'est que je vous aime et révère au pied de la lettre.
V.
8 octb [1760]
Non par Versailles, mais par mr de Courteilles.