Paris ce 20 août 1760.
Monsieur,
Vous m'avez donné un censeur qui me désole, et je vous supplie de m'en donner un autre qui soit plus raisonnable.
Il est bien triste pour moi d'être joué par Voltaire dans une comédie et sur le théâtre de la nation, et de ne pouvoir plaisanter à son sujet. Il me semble, Monsieur, que c'est le droit des gens et sur-tout des gens de Lettres. J'ai L'honneur de vous envoyer, Monsieur, L'article que Le Censeur a rayé, article qui certainement vous paraîtra très innocent, et que tous les censeurs du monde approuveroient. Je joins à mes épreuves La Brochure qui a été imprimée à Paris, et de laquelle j'ai tiré mon article. Je vous prie en grâce, Monsieur, de m'accorder la satisfaction de voir paroître cet article, qui n'est qu'une plaisanterie, comme vous en jugez vous même. Si je disois que Voltaire est ce qu'il est, un malheureux, un scélérat, mon censeur auroit raison de ne pas me passer ces vérités, que je ne me permettrai jamais; mais c'est bien la moindre chose que je puisse plaisanter M. Le comte de Tournay, après que M. de Voltaire m'a indignement traité dans ses libelles et dans sa comédie. Je vous supplie, Monsieur, d'ordoner à Mon censeur d'être plus indulgent. Au reste, cette querelle ne durera pas; je commence à m'en lasser moi même. Lambert attend après ces épreuves, et je vous supplie Monsieur, de me les renvoyer le plustôt qu'il vous sera possible. La feuille est retardée de huit jours par les difficultés du censeur. J'attends de vous, Monsieur, plus d'indulgence.
Je suis avec le plus profond respect et la plus vive reconnoissance de toutes vos bontés,
Monsieur,
Votre très humble et très obéïssant serviteur
Freron