1760-08-01, de Élie Catherine Fréron à Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes.

Monsieur,

J'ai fait toutes les corrections que vous avez exigées et que M. Marin m'a indiquées de votre part; et c'est bien à regret que j'ai supprimé les noms propres. Ce sont les noms propres qui font la moitié des noires plaisanteries de Voltaire; si l'on avoit ôté les noms propres des satyres de Boileau, elles auroient perdu la moitié de leur sel. Voltaire le sçait bien et moi aussi. Mais vous ne jugez pas à propos, Monsieur, de me les permettre, j'obéïs. J'ai mis Hautesse au lieu de Majesté, Empereur à la place de Roi; ainsi il n'y a plus d'allusion à faire; il y a une pièce aux italiens intitulée Arlequin Empereur de la Lune; Empereur de la philosophie revient au même. J'ai ôté tout ce qui concernoit M. Le Lieutenant de police. Il n'y a, Monsieur, que Te Voltarium que j'ai laissé. Vous craignez, m'a dit Monsieur Marin, que les prêtres ne se formalisent et ne pensent qu'on a voulu tourner en dérision le Te Deum. Je vous assûre, Monsieur, que cette idée est bien loin de moi. D'ailleurs, j'ai lu cet article à des Evêques et à des prêtres de St Sulpice; je leur ai exprès demandé s'ils ne trouvoient rien à reprendre à Te Voltarium, et tous m'ont répondu que c'étoit une très innocente plaisanterie. Ainsi, Monsieur, je vous prie en grâce de me la passer. Tout mon article n'est fait que pour amener cette chute, et je suis perdu si vous me la retranchez. Je vous supplie, Monsieur, de m'accorder cette grâce. Ce n'est point une supposition en l'air, quand j'ai l'honneur de vous dire, Monsieur, que j'ai lu le Te Voltarium à deux évêques; rien de plus certain et de plus vrai. J'aurai l'honneur de vous les nommer, lorsque j'aurai celui de vous voir; ils n'en ont fait que rire. Il y a dans les œuvres de Vade, imprimées avec approbation et privilège du Roi, une chanson sur M. de Lowendal qui commence:

S'ti là qui a pincé Bergopsom
Est un vrai moule à Te deum.

Il y a là du ridicule sur le Te deum, et il n'y en a point dans mon article. Il est indécent de mettre le Te deum dans une chanson des halles.

J'ai ôté tous les noms propres, excepté celui de La Morl . . . . Pour celui là, Monsieur, j'espère que vous voudrez bien le laisser; il mérite cette distinction.

Je vous envoie, Monsieur, la première épreuve que vous aviez hier, et que vous m'avez fait demander; j'y joins l'Epreuve corrigée.

Je suis avec le plus profond respect et la plus vive reconnoissance de toutes vos bontés,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur
Freron

Je vous supplie Monsieur de me faire un mot de réponse, afin qu'on puisse tirer la feuille.

Mon censeur a dit qu'il auroit passé le Te Voltarium. M. Caperonier et M. Marin m'ont dit la même chose.