aux Délices 20 xbre [1756]
Mon cher ange j'ay vu cette infâmie que l'on impute à la Baumelle et que je n'impute qu'à un diable, et à un sot diable.
Il y a deux endroits assez piquants contre moy dans cette rapsodie digne des halles qu'on a osé imprimer sous mon nom. Je n'ay jamais vu d'ailleurs d'ouvrage plus digne à la fois de mépris et de châtiment. Mais je crois àprésent le parlement et le public occupés de soins plus pressants que de celuy de juger un petit libelle. Je me console par la juste espérance que les honnêtes gens et les gens de goust me rendront justice. Vous y contribuez plus que personne, vos amis vous secondent. Il serait bien étrange que la vérité ne triomphast pas, quand c'est vous qui l'annoncez.
Si cette affreuse calomnie a des suittes, je suis très sûr que vous serez le premier à m'en instruire. Je crois qu'àprésent je n'ay rien à faire qu'à déplorer tranquilement la méchanceté des hommes. M. le duc de la Valiere m'a mandé les mêmes choses que vous. Il veut bien se charger d'assurer madame de Pompadour de mon attachement et de ma reconnaissance pour ses bontez, et il répond qu'elle ne prêtera point l'oreille à la calomnie.
Ce n'est pas assurément le temps que M. le maréchal de Richelieu entame ce que votre amitié généreuse luy a suggéré, et je suis bien loin de luy laisser seulemt envisager que je veuille mettre ses bontez à L'épreuve.
Pour Rome sauvée et les autres pièces ce sont là des choses qu'on peut demander hardiment. Je n'y ay pas manqué; et j'espère que vous vous joindrez à moy.
Zulime ne sera plus Zulime, elle changera de nom sans changer de caractère. Le lieu de la scène ne sera plus le même. Il y aura quelques scènes nouvelles, et comme les deux derniers actes sont absolument différents de ceux qui furent jouez, la pièce sera en effet toutte neuve. Le reste viendra quand il pourra, quand j'aurai de la santé, de la force, de la tranquilité, quand la calomnie ne viendra plus assiéger mon hermitage, désoler mon cœur et éteindre mon pauvre génie. Je vous embrasse avec larmes mon respectable ami.
Il n'est pas douteux que la Baumelle n'ait été l'auteur et l'éditeur avec ses associez, de cet abominable ouvrage. Je le reconnais à cent traits. Voylà pour la seconde fois qu'il fait imprimer mes propres ouvrages farcis de tout ce que sa rage pouvait luy dicter. Il y a des horreurs contre le Roi même; leur platitude ne les rend pas moins criminelles. Ce libelle est un crime de leze majesté, et il se vend impunément dans Paris.