20 aoust 1760
Monsieur,
J'ai déjà eu l'honneur de vous écrire au sujet de votre tragédie de Tancrede.
Il faut que vrai semblablement ma lettre ne vous soit pas parvenue, ou que vous n'approuviez pas ma conduitte à ce sujet, pour ne m'avoir pas procuré une réponse sur ce que je vous avois marqué. Mr Dargental de son côté a dû vous en écrire et j'ai eu l'honneur de le voir très souvent me disant chaque fois qu'il attendoit une réponse de vous. Enfin dans le cas que ma lettre effectivement ne vous ait pas été remise voici le fait tel que Je vous l'avois écrit d'abord. Un home que je ne connois pas me propose une copie de votre tragédie pour l'imprimer et la vendre, il m'en demande d'abord douze louis et aprez avoir discuté ensemble sur le prix il convient de me la donner pour six; il ne l'avoit pas sur lui ce jour là et nos conventions arrêtées il me promet de me l'apporter quelques jours aprez. En effet huit Jours se passent sans que j'entende parler de lui. Au bout de ce temps il arrive avec la copie et je lui donne les six louis que je lui avois promis. Consultant moins mon profit que les égards que je vous dois je n'ai eu rien de plus pressé que de la porter à Mr Dargental à qui j'en avois déjà parlé et qui me parut très sensible à ma démarche. J'avois fait promettre à cet home de n'en donner aucune autre copie à qui que ce soit et je lui dis même (quoique je ne le connusse pas) que je sçavois qui il étoit et que si malheureusement il y en avoit d'autres copies de répandues chez mes confrères et qu'on vint à l'imprimer, je le dénoncerois sur le champ; que si vous à consentiez au contraire que je l'imprime, je le récompenserois lors du débit de l'ouvrage. Mr Dargental de son côté a fait faire par les inspecteurs de la librairie les recherches les plus exactes et ils n'ont pas trouvé la moindre apparence d'impression de votre pièce. Aussi je crois que mon home dans sa crainte d'être dénoncé et par l'appas d'une récompense se sera donné de garde de traiter avec d'autres qu'avec moi. J'espère donc Monsieur que celle ci sera plus heureuse que la première et que vous voudrez bien me faire part de vos intentions. Dans le cas que vous consentiez à ce que je l'imprime je souscris d'avance aux conditions que vous m'imposerez m'estimant trop heureux de débuter dans mon établissement par un ouvrage de vous et de pouvoir vous prouver l'attachement et la considération avec les quels j'ai l'honneur d'être Monsieur.