18e Avril 1760, aux Délices
Vous m'avez pris à vôtre avantage, Madame, vous êtes une Dame d'esprit vous portant bien; vôtre imagination est soutenüe par les agrémens que vous trouvez dans Paris, mais un pauvre solitaire, vieux et malade, qui a renoncé au monde ne trouve point dans sa solitude de quoi mériter vos attentions et vos bontés, je serai très flatté, sans doute, que vous daigniez me faire Confidence de la comédie que vous faittes; si je juge de son mérite par celui de vos lettres, cette pièce doit être bien supérieure à celle de made de Graffigny.
Le public mêla peutêtre un peu de politesse aux eloges prodigués à Cénie, mais à vous, Madame, il vous rendra justice; d'ailleurs, n'attendez point de moi des conseils, je ne porte pas l'impudence jusque là. Je n'ai jamais pû deviner le goût du public dans le peu de temps que j'ai été à Paris; il m'a paru toujours inconstant et capricieux. Il y a seulement quelques piéges usés, auxquels les cervelles du peuple se laissent toujours prendre, comme les reconnaissances, les lieux communs de morale, les portraits, et les petits prestiges du Comique larmoyant. Mais je crois que tout celà change à Paris tous les six mois comme les modes. Un hermite comme moi ne connait pas plus vôtre ville, que les parisiens ne connaissent le reste de l'Europe; je me crois très étranger, mais je sens que je le suis moins avec vous qu'avec un autre. Vous me paraissez, Madame, avoir l'esprit de tous les païs.
Je vous demande pardon, madame, de ne vous pas écrire de ma main, étant actuellement très incommodé.
Pénétré d'estime et de respect pour vous.
V.
aux Délices, 8 avril a