1769-08-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

J'aimerais encor mieux, mon cher ami, une bonne Tragédie et une bonne Comédie que des éloges de Racine et de Moliere, mais enfin il est toujours bon de rendre justice à qui il apartient.

Il me parait qu'on a rendu justice à l'arlequinade substituée à la dernière scène de l'inimitable Tragédie d'Iphigénie. Il y avait beaucoup de témérité de mettre le récit d'Ulisse en action. Je ne sais pas quel est le prophane qui a osé toucher ainsi aux choses saintes.

Comment ne s'est-on pas aperçu que le spectacle d'Eryphile se sacrifiant elle même ne pouvait faire aucun éffet parce la raison qu'Eryphile n'étant qu'un personage épisodique et un peu odieux, ne pouvait intéresser? Il ne faut jamais tuer sur le théâtre que des gens que l'on aime passionément.

Je m'intéresse plus à l'auteur des Guêbres qu'à celui de la nouvelle scène d'Iphigénie. C'est un jeune homme qui mérite d'être encouragé. il n'a que de bons sentiments, il veut inspirer la tolérance, c'est toujours bien fait, il poura y réussir dans cinquante ou soixante ans. En attendant je crois que les honnêtes gens doivent le tolérer lui même, sans quoi il serait exposé à la fureur des jansénistes qui n'ont d'indulgence pour personne. Tous les philosophes devraient bien élever leur voix en faveur des Guebres. J'ai vu cette pièce imprimée dans le païs étranger sous le nom de la Tolérance; mais on est bien tiède aujourd'hui à Paris sur l'intérêt public; on va à l'opéra comique le jour qu'on brûle le chevalier de la Barre, et qu'on coupe la tête à Lally. Ah! parisiens, parisiens! vous ne savez que danser autour des cadavres de vos frères. Mon cher ami, vous n'êtes pas Welche.