1769-08-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, j'ai été un peu malade, je ne suis pas de fer comme vous savez; c'est ce qui fait que je ne vous ai pas remercié plutôt de vôtre dernière Lettre.

Le jeune auteur des Guêbres m'est venu trouver; il a beaucoup ajouté à son ouvrage, et j'ai été assez content de ce qu'il a fait de nouveau. Mais tous ses soins et toute sa sagesse ne désarmeront probablement pas les prêtres de Pluton. On était prêt de jouer cette pièce à Lyon, la seule crainte de l'archevêque qui n'est pourtant qu'un prêtre de Vénus, a rendu les empressements des comédiens inutiles. L'intendant veut la faire jouer à sa campagne; je ne sais pas encor ce qui en arrivera. Il se trouve par une fatalité singulière que ce n'est pas la prêtraille que nous avons à combattre dans cette occasion, mais les ennemis de cette prêtraille qui craignent de trop offenser leurs ennemis.

J'ai écrit à mr le mal de Richelieu pour le prier de faire mettre les Scythes sur la Liste de Fontainebleau. Les Scythes ne valent pas les Guêbres, il s'en faut beaucoup; mais tels qu'ils sont ils pouront être utiles à Le Kain, et lui fournir trois ou quatre représentations à Paris.

Je me flatte que la rage de m'attribuer ce que je n'ai pas fait est un peu diminuée.

Je ne me mêle point de l'affaire de Martin. Elle n'est que trop vraie, quoi qu'en dise mon gros petit neveu qui a compulsé les registres de la Tournelle de cette année aulieu de ceux de 1767. Mais j'ai bien assez des Sirven sans me mêler des Martin. Je ne peux pas être le Donquichote de tous les roués et de tous les pendus. Je ne vois de tous côtés que les injustices les plus barbares; Lally et son baillon, Sirven, Calas, Martin, Le chevalier de La Barre se présentent quelquefois à moi dans mes rêves. On croit que nôtre siècle n'est que ridicule, il est horrible. La nation passe un peu pour être une jolie troupe de singes, mais parmi ces singes il y a des Tigres, et il y en a toujours eu. J'ai toujours la fièvre le 24 du mois d'auguste, que les barbares Welches nomment aoust. Vous savez que c'est le jour de la st Barthelemi, mais je tombe en défaillance le 14 May où l'esprit de la Ligue catholique qui dominait encor dans la moitié de la France assassina Henri 4 par les mains d'un révérend père feuillant. Cependant les Français dansent comme si de rien n'était.

Vous me demandez ce que c'est que l'avanture du Pape et de la perruque. C'est que mon ex-jesuite Adam voulait me dire la messe en perruque pour ne pas s'enrhumer, et que j'ai demandé cette permission au Pape, qui me l'a accordée. Mais l'Evêque qui est une tête à perruque est venu à la traverse et il ne tient qu'à moi de lui faire un procez en cour de Rome, ce qu'assurément je ne ferai pas.

Le parlement de Toulouse semble faire amende honorable aux mânes de Calas en favorisant l'innocence de Sirven. Il a déjà rendu un arrêt par lequel il déclare le juge subalterne qui a jugé toute la famille à être pendue, incapable de revoir cette affaire, et la remet à d'autres juges. C'est beaucoup. Je regarde le procez des Sirven comme gagné. J'avais besoin de cette consolation. Mes très tendres respects à mes deux anges.

V.