aux Délices 26 janvier [1760]
Madame,
Si mon petit commerce avec la personne que vous savez trouve quelques épines, il me vaut bien des fleurs de la part de votre altesse sérénissime.
Je la crois un peu coquette. Ce n'est pas vous madame assurément que je veux dire, c'est la belle dont V. A. Se favorise les beautez et les prétentions. Elle a fait part de ses amours à un confident qui n'a pas le cœur tendre et je crois que son amant pourait être un peu refroidi. Voylà madame la première fois que j'ay parlé galanterie au milieu des neiges des alpes. Je me sens plus à mon aise et plus dans mon naturel, en parlant à votre altesse se des talents de votre auguste famille, des grâces d'Alzire, et de celles de Gusman, d'un jupon à falbalas de plumes, et d'un habit à l'espagnole. Je devrais bien être le souffleur. Ce rôle me conviendrait mieux que celuy que je fais je ne sçais comment. J'ay de la peine avec la coquette. Je sçais bien qu'elle est faitte pour séduire, et qu'avec tant de beauté on n'attend pas d'elle baucoup de bonne foy. Je souhaitte qu'on respecte ses caprices, et qu'elle ne s'en repente pas. Pour moy j'aurai toujours beaucoup de respect pour les belles et tout vieux que je suis, j'aime encor mieux en parler que des horreurs de la guerre, et des tigres de l'espèce mâle qui se déchirent dans les glaces.
On a imprimé madame les poesies du philosophe de Sans souci. Je n'ay pu encor parvenir à en avoir un exemplaire. Il serait plaisant qu'il eût fait imprimer ses vers pour en faire présent à mr de Daun, je crois que ces poésies seront mises à Rome à l'index. Daignez agréer toujours madame le profond respect du Suisse
V.