1760-02-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame

Je n'ay rien de nouvau touchant le mariage de la coquette.
Il est plaisant que votre altesse sérénissime ait pris un moment cette belle épitète de coquette pour elle. Non madame, vous n'avez de votre sexe que la beauté. Je m'imagine que la charmante et respectable Alzire de Turinge vous ressemble. Ah madame qu'elle mette des bas de soye ou des bottines, ou qu'elle soit nues jambes si elle veut, tout sera bon, si elle tient de sa mère comme je le crois. Je n'aime point les bottines. J'ay vu tout le monde botté à Berlin, mais les princesses portaient des bas. Pour les autres dames j'ay peur que bientôt elles ne portent point de chemises si la guerre dure encor un an. Le Brandebourg doit être dans un état pitoyable par la cessation du commerce, par le nombre énorme de recrues, par la dévastation des pays voisins. Voylà madame à la longue tout le fruit de la guerre, et les suittes en peuvent être encor cent fois plus affreuses. Il est désagréable qu'un livre de poésies du Roy de Prusse paraisse dans ce temps cy. La police en a fait saisir les exemplaires à Paris. Il me semble que le nom d'un homme tel que le Roy de Prusse devrait être respecté partout. C'est étrangement le profaner que de voir ses ouvrages un gibier de police. On ne s'acoutume point à voir un héros traitté comme Fréron et comme les autres gredins de Paris. Le meilleur ouvrage qu'il pourait faire serait un traitté de paix. Car bientôt on n'aura pas plus de chemises à Paris qu'à Berlin. On nous fait vendre les nôtres avec notre vaiselle pour faire la campagne. On dit que nous renonçons à la marine pour porter le ravage sur terre. J'ignore si votre nouvau voisin le landgrave catholique est toujours prisonier gouverneur à Magdebourg. C'est encor là un nouvau sujet de noise. Mais madame ce n'est pas à moy de me mêler des affaires de vous autres princes. Je ne dois penser qu'à melle Pestrizet et à son mariage. J'eus l'honneur de luy écrire il y a huit ou dix jours, et je luy demandai sa protection auprès de v. A. Se.

V.