1760-02-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

On reconnait ses amis au besoin; il faut que vous me disiez absolument ce que c'était que cette Lettre de change, du R. P. de Sacy, de la compagnie de Jésus et de Judas.

Il faut aussi que vous ayez la bonté de me faire avoir par le moyen de mr Bouret, les œuvres du poëte Roy. Je n'entends pas par là les Pseaumes de David, mais bien la prose et les vers de S: M: Prussienne; Il n'est plus guères Majesté Prussienne, attendu que les Russes lui ont raflé la Prusse; il est encor Electeur de Brandebourg, mais peut être ne le sera t’-il pas longtemps: je serai fort flatté d'avoir mis la main à ses ouvrages, s'ils durent un peu plus que son royaume.

A t’-on joüé Spartacus, et mr le Frant de Pompignan, a t’-il fait un bel Eloge de Maupertuis? a t’-il bien prôné la réligion de cet athée? a t’-il fait de belles invectives contre les Déïstes de nos jours? Je vous prie, mon cher ami de me mettre un peu au fait. J'ai beau exalter mon âme pour lire dans l'avenir, comme feu Moreau Maupertuis, je ne peux deviner ce que deviendront nos fortunes. On parle d'arrangements de finance qui dérangeront furieusement les particuliers. Si avec celà on peut avoir des flottes contre les Anglais, et des grenadiers contre le prince Ferdinand, il ne faudra pas regretter son argent. Je n'ai point été surpris de voir qu'il n'y ait que quinze conseillers au Parlement qui ayent porté leur vaiselle, mais je suis fâché que sur plus de vingt mille hommes qui en ont à Paris, il ne se soit trouvé que quinze cent citoïens, qui ayent imité mlle Hus et le Roy. On dit que le Parlement fera brûler les œuvres du Roy de Prusse, c'est une plaisanterie digne de nôtre siècle; il vaudrait mieux brûler Magdebourg, mais malheureusement on y rôtirait L'abbé de Prades, qui est dans un cachot de la citadelle, et je n'aime pas qu'on brûle les bons chrétiens. Je vous embrasse de tout mon coeur.