ce 12 mars [1740]
Mon très cher ange gardien, je fis partir hier à L'adresse de mr votre frère un petit paquet contenant à peu près toutes les corrections que mon grand conseil m'a demandées pour cette Zulime.
Je m'étois refroidi sur cet ouvrage, et j'en avois presque perdu L'idée, aussi bien que La copie. Il a fallu que mademoiselle Quinaut m'ait renvoyé les cinq actes pour me mettre au fait de mon propre ouvrage. Il est bien difficile de rallumer un feu presque éteint, il n'y a que le soufle de mes anges qui puisse en venir à bout. Voyez si vous retrouverez encor quelque chaleur dans Les changements que j'ay envoiez. Je ne crois pas que cela puisse être joué ce carême. Il me semble qu'on ne pourra guères mettre aux prises melles Gossin et Duménil qu'après pâques. Ainsi j'auray du temps pour Mahomet. Avez vous oublié Pandore? Vous m'aviez dit qu'on en pouvoit faire quelque chose. Je crois qu'il me sera plus aisé de vous satisfaire sur Pandore que sur Zulime. Je vous avoue que je serois fort aise d'avoir courtisé avec succez une fois en ma vie La muse de L'opéra. Je les aime toutes neuf, et il faut avoir le plus de bonnes fortunes qu'on peut sans être pourtant trop coquet.
Le prince royal m'a écrit une lettre touchante au sujet de mr son père qui est à l'agonie. Il semble qu'il veuille m'avoir auprès de luy, mais vous me connaissez trop pour penser que je puisse quitter madame du Chastelet pour un roy et même pour un roy aimable.
Vous devriez me dire quelques nouvelles des spectacles. Ils m'intéressent toujours quoy que je sois àprésent tout hérissé des épines de la philosofie.
Mais vous ne mandez jamais rien de ce qui vous regarde, rien sur votre vessie, ny sur vos plaisirs, je m'intéresse à tout cela plus qu'à tous les spectacles du monde. Allez vous toujours Les matins vous ennuyer en robe à juger des plaideurs? Mille tendres repects à me Dargental. Ne m'oubliez pas je vous en prie auprès de mr L'ambassadeur de Sardaigne ny auprès de mrs Dussé.
V.