1759-11-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à marchese Francesco Albergati Capacelli.

Monsieur,

Une indisposition me prive de l'honneur de vous écire de ma main.
Mes marchés avec vous ne sont pas si bons que je m'en flattais, puisque ce n'est pas vous qui daignerez traduire la tragédie que vous m'avez demandée; vous l'auriez sûrement embélie; nous l'avons joüée trois fois sur mon petit téâtre de Tourney; nous avons fait pleurer tous les Allobroges et tous les Suisses du païs; mais nous savons bien que ce n'est pas une raison pour plaire à des Italiens; ce qui pourait me donner quelque espérance c'est que nous avons tiré des larmes des plus beaux yeux qui soyent à présent dans les Alpes, ces yeux sont ceux de Madame l'ambassadrice de France à Turin; elle a passé quelques jours chez moi avec Monsieur l'ambassadeur et tous deux m'ont rassuré contre la crainte où j'étais de vous envoyer un ouvrage fait en si peu de temps. Ce ne sera qu'avec une extrème défiance de moi même que je prendrai cette liberté. Mon téâtre se prosterne très humblement devant le vôtre; nous savons ce que nous devons à nos maîtres. J'ai reçu la mort de César de Mr Agostini, j'admire toujours la fécondité et la fléxibilité de vôtre langue, dans la quelle on peut tout traduire heureusement, Il n'en est pas ainsi de la nôtre, vôtre langue est la fille ainée de la Latine. Aureste, j'attends vos ordres, Monsieur, pour savoir comment je vous adresserai le paquet; j'attends quelque chose de mieux que vos ordres, c'est l'ouvrage que vous avez bien voulû me promettre. J'ai L'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois

Monsieur

Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire
gentilhome ord. de la
chambre du roy

Si Monsieur Algarotti est à Boulogne, voulez vous bien me permettre que je lui fasse mes compliments?

J'ay vu monsieur dans vos poscriptum comment il faut s'y prendre pour l'envoy et j'en profiterai.