1759-12-10, de marchese Francesco Albergati Capacelli à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

L'avis, que vous m'avés donné de votre indisposition, m'a fait bien de la peine, et j'attens avec impatience de meilleures nouvelles de votre santé: j'en espère même un entier rétablissement.

Vous aurés reçu, Monsieur, le paquet de la Sémiramis traduite, que je vous envoïai au commancement du mois passé, joint à une de mes lettres, par la quelle je vous importunois avec plusieurs prières de différentes choses. Je serois bien fâché si le paquet, ou la lettre étoit perdu: cas que non, votre amitié pour moi me rend sûr, que je serai exaucé.

Ne me faites languir davantage dans l'attente de votre belle Tragédie: et Ne faites pas à mes Italiens le tort de ne les croire capables de s'attendrir à un spectacle, qui a sçu, dites-vous, émouvoir des Suisses e des Allobroges. Si vous êtes sensible aux larmes versées par de beaux yeux, ne le soiez pas moins au plaisir que vos vers soient prononçés par une belle bouche, et exprimés par deux yeux non moins brillants. Telles sont les qualités de l'Actrice, qui doit jouer votre Tragédie, et qui attend cet honneur-là avec la dernière impatience.

Souvenés vous, Monsieur, de la grâce, que je vous ai demandée, c'est de ne pas imprimer votre pièce pendant environ deux ans, et de ne la donner à personne pendant ce tems-là. Honorés moi de vos ordres, et vous me trouverés tout prêt à vous obéïr, puisque je me vante d'être à jamais

Monsieur

Votre très-obéissant serviteur et ami

le sénateur François Albergati Capacelli