1745-11-12, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à François Jacquier.

On ne peut être plus sensible que ie le suis, Monsieur, à l'attention que vous aués eü de m'enuoier de la poudre de Ouakaka.
Véritablement il faut qu'elle soit bien rare, car celle là n'est point encore come celle que i'ay eü autrefois. Je ne vous en suis pas moins obligée, je vous assure. Ma fille aura été bien aise de vous voir à Naples, car, quoiqu'elle demeure à Capodimonte, i'espère que vous aurés été l'y chercher. Vous l'aurés trouué prête d'acoucher. Je me flatte que vous m'escrirés de ce payis là, et que vous me marquerés coment vous l'aurés trouuée.

Les Eléments d'algèbre de M. Cleraut vont paroître. C'est à mon gré un des livres le plus utile et où le génie supérieur à sa matière se fait le plus sentir. On imprime aussi la traduction de Keills de Monier. C'est son traité d'astronomie. Cet ouvrage m'a fait suspendre celui que vous saués que ie méditois sur cette matière. Je le lis actuellement, il me l'a prêté en feuilles, quoiqu'il ne paroisse pas encore. J'ay grande impatience que vous le lisiés pour que vous me mandiés ce que vous pensés de la traduction, car pour l'ouvrage de Keills, il me semble qu'il est jugé et qu'on l'estime avec justice. Mais ce qu'il faut lire, c'est la Vénus phisique de Maupertuis, ou la seconde partie de son Nègre blanc, mais il est très rare; et ie ne sais pas si vous l'aurés. J'aimerois mieux encore qu'il fît de petits Maupertuis à Mme Debork que de tels liures, mais, ie vous prie, ne dites sur cela mon sentiment à personne, car son amour propre ne pardonne pas aisément. Le mien sera très flatté d'être agrégée à l'institut et de deuoir cette distinction à votre amitié. J'en espère la nouvelle incessament. Vous ne serés pas étonné que ie ne vous aie rien envoié de ma façon depuis votre départ quand vous saurés que ie mène la vie du monde la plus désordonnée, que je passe ma vie dans l'antichambre du ministre de la guerre pour obtenir un régiment pour mon fils, que ie me couche à 4 et 5 heures du matin et que ie trauaille quand j'ay du tems à une traduction de Newton. Si i'auois plus de tems, i'aurois entrepris celle de votre beau commentaire. Mais je me contenterai d'en donner quelques propositions, parce que ie crains infiniment d'être prévenue dans mon travail qui est presque fini, et qui est cependant encore un secret que ie vous recomande. Je serai rauie de pouvoir mettre à la tête, de l'Institut de Boulogne. J'espère que vous m'enuerés le journal quand il paroîtra. Je vous serois aussi bien obligée si vous pouuës me procurer la dissertation de votre ami sur les forces viues. Vous me promettés quelques nouuelles littéraires depuis longtems. J'espère que vous acquitterés incessament cette dette. Après la confidence que ie viens de vous faire, vous deués sentir auec combien d'impatience j'attens la suite de votre Newton que vous me promettés. On attend votre calcul intégral avec toute l'impatience que votre mérite inspire. Je vous enuerai mon portrait gravé en France quand ie vous saurai de retour à Rome, parce que, comme ie ne le veux pas plier, cela fera un grand paquet que ie veux vous enuoier sans port. Vous saués toutes les faueurs du pape pour M. de Voltaire, il en a reçu une lettre charmante. Il me charge de vous faire mille tendres complimens. Il est fort occupé de l'histoire des campagnes du roi à laquelle il travaille. Soiés persuadé, Monsieur, que personne ne sera jamais avec plus d'estime et d'amitié que moi, votre très humble et très obéissante servante,

Breteuil du Chastellet