1759-09-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Count Ivan Ivanovich Shuvalov.

Monsieur,

J'ai reçu le Panégirique de Pierre le grand, que vôtre Excellence a eu la bonté de m'envoyer; il est bien juste qu'un homme de vôtre Accadémie célèbre les louanges de cet Empereur; c'est par la même raison que les hommes sont obligés de chanter les louanges de Dieu, car il faut bien loüer celui qui nous a formés.
Il y a certainement de l'éloquence dans ce panégirique, je vois que vôtre nation se distinguera bientôt par les Lettres comme par les armes; mais ce sera principalement à vous, Monsieur, qu'elle en aura l'obligation; je vous ai celle d'avoir reçu de vous des mémoires plus instructifs qu'un panégirique; ce qui n'est qu'un éloge ne sert souvent qu'à faire valoir l'Esprit de L'auteur, le titre seul avertit le Lecteur d'être en garde, il n'y a que les vérités de l'histoire qui puissent forcer l'esprit à croire et à admirer. Le plus beau panégirique de Pierre le grand à mon avis est son journal dans lequel on le voit toujours cultiver les arts de la paix au milieu de la guerre, et parcourir ses Etats en Législateur tandis qu'il les déffendait en héros contre Charles 12.

J'attens toujours vos nouveaux mémoires avec l'empressement du zèle que vous m'avez inspiré: je me flatte que j'aurai autant de secours pour les événements qui suivent la bataille de Pultava que j'en ai eu pour ceux qui les précèdent. Ce sera une grande consolation pour moi que de pouvoir achever ma carrière par cet ouvrage. Ma vieillesse et ma mauvaise santé me font connaître que je n'ai pas de temps à perdre; mais ce n'est pas là le plus grand motif de mon empressement; je suis impatient de répondre si je le puis, Monsieur, à la confiance que vous avez bien voulu me témoigner, et de satisfaire vôtre goût autant que je suivrai vos intentions.

Voicy, Monsieur, un môment bien glorieux pour vôtre Auguste Impératrice et pour la Russie. C'est la destinée de Pierre le Grand et de sa digne fille de rétablir la maison de Saxe dans ses Etats.

J'ai l'honneur d'être avec L'estime la plus respectueuse et tous les sentiments que vous méritez

Monsieur

De vôtre Excellence

Le très humble et très obéïssant serviteur

Voltaire