1759-09-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame

Je reçois la lettre dont votre altesse sérénissime m'honore par les mains de l'avocat qu'elle a envoyé dans nos montagnes.
Que vous faittes bien madame de vous délivrer de tous ces banquiers! Les Olenslagers et tous les gens de son espèce auront à la fin tout l'argent de L'Europe. Je n'ay nulle nouvelle du marchand baron, il est en pleine Suisse dans sa terre qu'il a gagnée à vendre paisiblement de la mousseline, tandis que tant de terres de ceux qui ne vendent que leur sang sont ravagées. Il sera sans doute fort aise luy même du party que votre Altesse sérénissime a pris. Je n'ay point vu encor celuy qu'elle a envoyé. J'étais dans un de mes hermitages quand il me cherchait dans l'autre. Je l'attends aujourduy à diner mais la poste partira avant qu'il arrive. C'est ce qui me détermine à écrire par le courier qui d'ailleurs ira plus vite que luy.

J'eus l'honneur madame de vous écrire avant hier et je pris la liberté de mettre dans le paquet une lettre qui peut n'être pas tout à fait inutile à la personne qui la recevra. Vous vous intéressez à elle et je ne devrais pas m'y intéresser. Mais les affaires de ce monde tournent quelque fois d'une manière ridicule. Il est sans doute bien extraordinaire que je sois à portée de servir cette personne. Elle est très capable de n'en rien croire, car avec de très grandes qualitez on a quelquefois des caprices. Je n'ose en dire davantage. Plût à dieu madame que je pusse venir me mettre à vos pieds pendant quelques jours. Je me flatte que les yeux de la grande maîtresse des cœurs sont meilleurs que les miens. Ils vous voyent tous les jours. Les miens sont punis d'avoir quitté votre cour.

Recevez madame les profonds respects de l'hermite V. avec votre indulgence ordinaire.