1759-08-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Louis Allamand.

Vos lettres sont des cartels d'esprit monsieur, mais je vous dirai comme st Evremont mourant à Waller, vous me prenez trop à votre avantage.
Je ne me porte pas assez bien pour jouer avec votre imagination. Il me parait que vous ressemblez à peau d'âne qui s'amusait à se parer de pierreries dans un désert entre des rochers. Que faittes vous de tant d'esprit dans votre abominable trou? Vous m'apprenez qu'il y a cinq classes dans le pays de Vaux, mais de tous ces gens là il n'y en aucun qui ne dût aller en classe sous vous. Il est vray que le roy m'a accordé tous les privilèges que ma terre de Fernex avait perdus. Il m'a fait libre. C'est à mon sens la seule vraye grâce qu'un Roy puisse faire. Me voylà français, genevois et suisse, ne dépendant de personne. C'est un sort unique, et c'est ce que je cherchois. Il y a pourtant quelques loix que je suis obligé de suivre. Je ne peux faire dire la messe publiquement aux Délices, ny avoir un prêche public à Tourney et à Ferney. Mais je peux très bien y avoir un prédicant à huis clos. Je n'y voudrais pourtant d'autre ministre que vous, et je serais fort aise d'entendre votre parole, quoyque ny vous ny moy ne pensions que votre parole soit celle de dieu. Interim vale.

V.