8e Janv: 1766
Dieu vous préserve, mes divins anges, de lire le mémoire genevois que vous trouverez cy joint; donnez le si vous voulez à l'avocat consultant qui peut dévorer cet ennui.
Les choses se sont un peu aigries à Genêve depuis que je ne m'en mêle plus. Ce n'est pas la faute de Mr Henin qui a toujours paru tenir la balance égale, il ne faut s'en prendre qu'à deux ou trois petits évênements qui ne feraient pas une nouvelle dans la place Maubert, et qui ont ulcéré le cœur des citoiens de Genêve. Je m'aplaudis tous les jours de m'être éloigné de cette ville où la concorde n'habitera jamais, et d'avoir choisi une petite retraitte en Suisse, où je vais quelquefois passer les beaux jours.
Je vous supplie, mes anges, de vouloir bien engager Mr Marin à empêcher les libraires d'imprimer les tristes vers que j'ai faits sur un évênement fort triste. J'ai assez parlé de Henri 4 en ma vie sans ennuier encor ses mânes.
Ce pauvre Le Kaïn me fend le cœur; la pension devait être à lui, ou ni vous ni moi ne nous y connaissons. Je vois que l'humeur décide souvent des petites affaires comme des grandes. Nous attendons icy Pierre Corneille; il ne manquera pas de nous faire quelque tragédie pour nôtre petit théâtre. S'il fait des vers comme sa fille les récite nous aurons beaucoup d'aplaudissements. Nous espérons avoir Virginie quand le grand deuil et le grand froid seront passés; nous l'essaierons à huis clos, car il faut voir les choses en place pour en bien juger.
Mettez moi, je vous prie au bout de vos ailes, et de celles de M: le Duc De Praslin.