aux Délices près de Genêve 20e Juin 1759
Ma mauvaise santé, Monsieur, m'a empêché de vous remercier plutôt; et me prive même de l'honneur de vous écrire de ma main.
J'ai lû avec un très grand plaisir le mémoire contre les hollandais, il me parait aussi bien fait qu'il puisse l'être. Il me semble qu'on n'écrivait point ainsi autrefois, les affaires publiques étaient traittée ou avec une sècheresse rebutante, ou avec une emphase ridicule; vous me paraissez aussi bons écrivains que bons marins.
Vôtre Milton me devient bien prétieux puisqu'il vous a apartenu, je le conserverai comme un monument de vôtre amitié. J'ai appris par les papiers publics la mort de Mr Fakner mon ancien ami. J'en suis sensiblement affligé. Ce sera une grande consolation pour moi de retrouver en vous les sentiments dont il m'avait toujours honnoré.
Il me semble qu'on imprima l'année passée des mémoires concernant la Russie par le Lord Withworth. Si vous aviez un moment à vous je vous supplierais de vouloir bien me dire si ces mémoires sont en éffet de ce ministre et s'ils sont estimés. Je dois supposer par tout ce qu'on m'en a dit qu'ils sont assez curieux. Je n'ose vous supplier de me les faire parvenir; il n'y aurait qu'à les envoyer par la poste par la voye de Hollande en feuilles afin que cela n'eût point l'air d'un livre dont la poste ne se chargerait pas. C'est ouvrage m'est plus nécessaire qu'à personne, étant chargé par la cour de Pétersbourg de faire l'histoire de Pierre le grand. Je commence même à faire imprimer le premier volume; ainsi il n'y aurait pas un moment à perdre. Je ne sçais aucune nouvelle de Littérature. Il me parait que la dernière comette n'a pas fait grand bruit. On est si occupé des affaires de terre et de mer que les célestes sont oubliées de toutes façons. J'ai l'honneur d'être bien véritablement et de tout mon coeur, Monsieur, Vôtre très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire