10 Mars [1759] aux Délices
Je ne suis pas surpris monsieur de vos sentiments vertüeux, et je n'y suis pas moins sensible.
Je m'attendais bien qu'une âme comme la vôtre s'élèverait contre des âmes lâches qui voulaient couvrir d'opprobre une famille innocente. Si mr Saurin mon ami avait l'honneur d'être connu de vous, vous vous applaudiriez encor davantage d'avoir imposé silence à ceux qui ont voulu déshonorer votre ville en imprimant un ouvrage si scandaleux qui n'eût servi qu'à faire mourir de chagrin un très honnête homme. C'est un ancien Secrétaire de M. le prince de Conty, et il est prest d'avoir un employ fort considérable. Jugez combien ses concurrents auraient profité des armes cruelles que l'on voulait fournir à Lausane contre sa famille. Le comble de cette infamie est d'avoir voulu couvrir du zèle de la relligion cette indigne conduitte. Ces misérables auraient ils pas en effet rendu un grand service à la relligion en prouvant qu'un de leurs pasteurs a mérité d'être pendu dans le siècle passé? Voylà t'il pas une bonne et sainte œuvre? Leurs excellences ont été très indignées de ces manœuvres odieuses. Pour moy j'ay la consolation d'avoir fait mon devoir, d'avoir réüssi, et de ne me livrer désormais qu'à l'intérest que je prends à vos plaisirs, à vos talents aimables et aux agréments de votre commerce.
Il se poura bien que toutte ma famille ait l'honneur de vous voir incessament si made de Fontaine prend sa route par Basle. Je vous sacrifieray très volontiers mes massons et mes occupations rustiques. Je serai très fâché de ne vous avoir point vu vous et madam[e] Dermanche et tous vos parents donner à Lausane des plaisirs et des leçons, mais le mérite de l'homme sociable est chez vous encor au dessus du mérite de l'homme de talents. Comptez monsieur sur tous les sentiments qui m'attachent à vous pour ma vie.
V.