aux Délices 24fév. [1759]
J'étais fort malade monsieur quand j'eus l'honneur de vous écrire le dernier ordinaire d'une autre main que de la mienne, et je me flatte que vous me l'avez pardonné.
Vous m'ordonnez de ne faire aucun usage de votre dernière lettre du 18. Je vous obéis très ponctuellement, et je n'en parle pas même à famille à qui je cache toutte cette manœuvre du prêtre Léréche ou Erleche ou ou Verlèche, et du sr Arney, et du nommé Grasset le voleur, et ejusdem farniæ hominum. J'aurai l'honneur de vous dire (et je ne demande point le secret), que je fus averti de cette misère par un des principaux seigneurs du conseil de Berne, que L'ordre fut donné à M. le bailli de Lausane sans que j'y eusse la moindre part, et que Mr de Bonsteten m'a fait l'honneur de m'écrire que si le libelle était tel qu'on le dit les éditeurs seraient punis sévèrement. Un des avoyers a eu la bonté de m'écrire la même chose.
On a eu depuis l'attention de m'envoier depuis un des exemplaires saisis afin que je l'examinasse. Ce que j'y ai trouvé de pis, c'est l'ennuy mortel qu'il cause. On ne peut être plus platement impertinent. Voylà le jugement que j'en ai porté, sans attendre celuy du téologien ortodoxe dont vous me parlez. Rien n'est plus méprisable sans doute que cette sottise imprimée pour gagner deux écus. Le sr Darnai qui s'est associé avec cet honnête homme de Grasset n'aurait pas dû se déshonorer par cette infamie, il aurait obtenu à Berne l'argent qu'il demandait et qu'on luy a refusé.
Pour moy mon cher monsieur je dis hautement qu'autant que je dédaigne cette noirceur, autant je suis affligé qu'elle ait été faitte dans une ville où l'on aurait dû ménager davantage l'amitié dont vous et toutte votre famille voulez bien m'honorer.
Il est vray comme vous le dites monsieur, que ce n'est pas vous ny mr de Gentil qui m'avez proposé de m'établir à Lausane, mais dès l'an 1751 mr Polier m'en avait prié par ses lettres, lors que j'étais auprès d'un roy. Mr des Gloires m'y avait invité, et depuis mr de Brenles m'avait déterminé par plusieurs lettres. Le bonheur de vivre avec vous m'a rendu ce séjour bien cher, et si la caballe qui manœuvre contre Mr Polier et contre moy ne L'emporte pas, le premier devoir dont je m'acquiterai sera celuy de vous venir remercier de vos bons offices.
Vous savez sans doute que les jésuites Mélégridi, Matos, Jerome, et Emmanuel sont les principaux auteurs de l'assassinat du roy de Portugal. Melegridi était un profète, un homme à miracles. On dit qu'il sera plus difficile de les convaincre juridiquement que de juger Vatteville. Si vous savez quelque chose de nouvau, daignez en informer v. t. h. et ob. str V . . . qui vous sera toujours tendrement dévoué.