1759-02-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Abram Elie Daniel Clavel de Brenles.

(secreto)

Tout est découvert, et constaté, mon cher ami, aussi bien que le fameux vol de Genève. C'est un nommé Lervèche, ci-devant précepteur de mr Constant, qui écrivit le libelle; il l'envoya aussi à Alaman pour le corriger, il l'envoya aussi à mr de Chavanes, à Vevey, et mr de Chavanes méprisa cette ordure. Mad. de Brenles doit embrasser notre ami Polier et ne point juger contre lui. Il est vrai qu'il est prêtre, il est vrai que je l'aime, mais dans l'Europe il y a trois ou quatre prêtres honnêtes gens que j'aime de tout mon cœur.

Ce n'est point lui qui m'a averti de tout ce tissu d'iniquités et de bassesses; il a tout ignoré, et ses ennemis se sont cachés de lui. Les mêmes personnes très respectables qui m'ont donné avis de toutes ces horreurs, m'ont averti aussi qu'on imprimait à Lausanne un livre scandaleux, intitulé La guerre de Mr. de Voltaire, dans lequel on renouvelle l'affaire de Saurin et celle de Servet, et cent autres horreurs. On en a été instruit à Berne et très indigné. On a écrit à m. le baillif de Lausanne; il lui sera très aisé d'arrêter le cours de ces infamies qui peuvent troubler et déshonorer votre ville. Grasset est violemment soupçonné; mais il y a d'autres imprimeurs. Une visite chez eux, une défense de continuer, une saisie des exemplaires, ne sont pas chose difficile. Vous pourriez très aisément, mon cher ami, accélérer l'effet de la justice et des bontés de m. le baillif, en le pressant d'interposer son autorité, et d'agir vivement dans une affaire où il n'y a pas un moment à perdre; je vous aurais une obligation qui égalerait la tendre amitié que j'ai pour vous. Je vous demande instamment de m'instruire de tout ce qui se sera passé et de n'en parler à personne.

Je vous donne avis que mad. Denis ne sait rien de tout cela, et que je n'en ai écrit à âme qui vive à Lausanne excepté à mr de Tscharner.

Mille tendres respects à mad. votre femme. Je vous embrasse tendrement.

Voltaire