à Lyon le 4 Janvier 1759
Monsieur,
Avant que de quitter Lyon je viens dans les sentimens de la plus vive reconnoissance vous remercier de toutes les bontés dont vous m'avez honoré à Geneve.
Je vous demande en même tems vos commissions pour la Provence. J'y visiterai bien tôt Vaucluse et Petrarque comme j'ai visité le Leman et vous. Cet aimable poète ne vous est pas étranger, comme il est connu de made Denis, qui mériteroit ses hommages avec Laure. Vous ne devez pas être indifférent pour le plus élégant, et le plus aimable de nos poètes, pour le chef, et le créateur de la litérature italienne quoiqu'on ne le regarde hors de l'Italie que comme poète. Peût-être m'inspirera-t-il des vers, que je vous offrirai comme un tribut au Prince des poètes françois au nom de mon souverain au Parnasse. J'avois essaïé au Delices, et à Geneve quelque poésie plus digne de vous être offerte que les quattre vers, que je vous laissai dans votre cabinet. Apollon ne m'écouta pas, toujours occupé de vous inspirer, même dans la conversation, tant de belles choses, qui ravissent votre compagnie, qui croit lire vos ouvrages en vous entendant parler comme vous écrivez. Je l'éprouvai moi-même ce plaisir, cet enchantement, qui m'empêcha de faire des vers, ou me les fit brûler. Votre présence a été le miroir d'Atlante que vous connoissez dans l'Arioste, contre le quel aucune magie ne sçauroit tenir. Vous aurez donc de la prose françoise, car je suis piqué contre ma verve et ma langue, qui m'ont si mal servi pour les vers. Mais comment oserai-je offrir de la prose françoise à Mr de Voltaire, étranger comme je suis, sans tomber dans quelque Patavinité, si Tite Live ne pût l'éviter? Mais enfin il faut remplir un devoir, et je relis en voïageant les ouvrages que j'ai reçus de votre main, pour rendre mon stile moins foible, et plus correct. Il est vrai qu'à force de vous lire je trouverai peût-être Le Chiare fresche e dolci acque de Vaucluse un peu insipides, et Madonna Laura moins miraculeuse que notre poète ne la peint. Vous en aurez des nouvelles aussi bien que des autres curiositez, que je rencontrerai en mon chemin, comme les Arenes de Nimes, le Pont du Gard, les monuments de Phocéens, &c. Ne vous dois-je pas présenter ces reste des Grecs, et des Romains, dont vous êtes le successeur au théâtre et à l'accadémie, et partout?
Je vous prie en attendant de présenter mes respects à Mesdames Denis, et Fontaine, et à toute cette aimable famille, qui vous environne avec les Grâces et les charmes de l'esprit et du goût. J'espère de vos nouvelles à Marseille, où je compte m'arrêter pour joüir de cet heureux climat malgré l'hiver, et mon foible tempérament, qui m'a empêché de répondre à vos offres généreuses par crainte de ces alpes, qui menacent toujours les habitans de vos cantons. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, Votre…