1758-06, de Count Ivan Ivanovich Shuvalov à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

C'est avec bien de regret que j'ai tardé si long tems à vous satisfaire sur l'envoi des mémoires.
Plusieurs obstacles en ont différé la collection; mais enfin àforce de soins je vous envoie quelques matériaux pour l'histoire de la Russie. J'y joins aussi les notes que J'ai pris la liberté de faire sur le comencement de votre ouvrage; il s'était glissé quelques erreurs dans ce beau morçeau que vous m'avés fait L'honneur de m'envoyer, mais ces erreurs ne sont pas les vôtres. Monsieur, vous êtes incapable d'en faire, et l'on doit les attribuer à l'inexactitude des mémoires dans lesquels vous aviés puisé. Ceux que J'ai L'honneur de vous adresser à présent ont l'avantage de la vérité. Je puis vous assurer Monsieur qu'ils sont extraits des archives et des Journaux les plus sûrs. On a écarté soigneusement toutes les choses fausses ou hazardées, et Je me suis efforcé de rendre cette collection digne de votre plume et de votre attention, vous y trouverez des tables chronologiques, des dénombremens, des calculs. Toutes ces pièces y sont Jointes seulement pour vous mettre au fait des plus petites particularités, et non pour vous prescrire aucun détail à beaucoup près. C'est vous, Monsieur, qui donnerés l'âme à toutes ces parties informes et sans liaison, et qui vont vous devoir toute leur valeur et leur éclat. Je travaille àprésent à faire traduire les campagnes par terre de Pierre le grand pour pouvoir vous les envoyer dans peu et Je me propose à l'avenir plus de diligence et de ponctualité. Les débuts ont été un peu difficiles. Si par la suite il vous naissoit quelque doute faites moi la grâce de me les communiquer.

Je suis extrêmement sensible, Monsieur, à la lettre que vous avés eu la bonté de m'écrire. Je connais tout le prix de votre politesse pour moi, et de vos bones intentions pour ma souveraine et pour ma patrie. Vos procédés me charment sans m'étonner, ils sont dignes de vous et personne n'en peut être plus reconnaissant. Je voudrois pouvoir vous les témoigner, et vous prouver la haute estime que m'inspirent votre nom, vos qualités et vos talens. J'ai l'honneur d'être très parfaitement

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

J. Schouvallow