27e Mars 1773
Mon très aimable Bertrand, vôtre Lettre a bien attendri mon vieux coeur, qui pour être vieux n’en est pas plus dur.
Je ne sais pas bien positivement si je suis encor en vie, mais en cas que j’éxiste c’est pour vous aimer.
Le gros Gabriel Cramer pendant ma maladie a imprimé un petit recueil dans lequel vous trouverez d’abord les loix de Minos, précédées d’une épitre dédicatoire, et si la page 8 de cette épitre dédicatoire ne vous plait pas, je serai bien attrapé.
Je sais d’ailleurs que Raton aime Bertrand depuis trente ans et que Bertrand pardonnera à une liaison de plus de cinquante.
Après la pièce sont des notes que probablement on ne réimprimera pas dans Paris, tant elles contiennent de vérités. Vous trouverez dans ce recueil la seule bonne édition de l’épitre à Horace, le discours de l’avocat Belleguier, des réflexions sur le panégirique de st Louis prononcé par l’abbé Mauri, lesquel les ne sont pas à l’avantage des croisades.
Le philosophe par Dumarsais, qui n’a jamais été imprimé jusqu’à présent, se trouve dans ce recueil.
Il y a deux Lettres très importantes de L’impératrice de Russie sur les deux puissances.
Le principal ornement de cette collection, est vôtre dialogue entre Descartes et Christine. On y a fouré aussi la Lettre du Roi de Prusse dont l’original est conservé dans les archives de l’académie, et dont Cramer prétend qu’on a trouvé une copie dans les papiers de vôtre prédécesseur Duclos.
Prèsque toutes ces pièces sont accompagnées de remarques dont quelques unes sont assez curieuses.
J’oubliais de vous dire que, dans l’épitre dédicatoire Mr Delaharpe est désigné comme le seul qui peut soutenir le théâtre français, et qui n’a éprouvé que persécutions et injustices pour tout encouragement.
Comment m’y prendrai-je pour vous faire parvenir ce petit paquet de facéties allobroges? Elles sont de contrebande et moi aussi.
Si j’ai encor quelque temps à vivre, je le passerai à cultiver mon jardin. Il faut finir comme Candide, j’ai assez vécu comme lui. Ma grande consolation est que vous soutenez l’honneur de nos pauvres Welches, en quoi vous serez bien secondé par Mr le marquis de Condorcet.
Adieu, mon philosophe très cher, et très nécessaire. Adieu; vivez longtemps.
V.