à St Petersbourg ce 29 avril 1761 v: St:
Monsieur,
Voici encore un petit amas de matériaux pour continuer Vôtre illustre travail; je voudrais qu'ils fussent plus intéressants, mais je me repose sur la savante et fertile plûme qui les mettra en oeuvre.
Je souffre assés de ce rétardement, pour que Vous ayés de l'indulgence pour moi; le désordre dans le quel se trouvent les Archives, après le grand incendie de Moscou depuis quelques anées, le grand éloignement de cette ville, enfin mille autres circonstances dont le détail Vous paraitrait aussi ennuyeux qu'inutile, méritent de Vôtre part un pardon pour moi. Quel ne doit pas être mon empressement à voir finir un ouvrage, à la gloire de notre nation! de notre grande Monarque et à mon bonheur, le plus utile que je puisse faire pour ma Patrie! Je Vous le devrai, jugés de ma reconaissance.
Ne serais-je pas bien coupable Monsieur, si après tant de marques d'amitié dont il Vous a plû de m'honorer, je manquais de confiance en Vos bontés? Sans doute et je ne dois pas Vous faire Mistère de quelques réflexions critiques de plusieurs personnes tant d'ici, que de déhors. On est surpris I) de ce qu'au lieu de mettre Vôtre nom à la tête de l'ouvrage, Vous ne vous êtes désigné que par l'Auteur de l'histoire de Charles XII. 2) Que Vous citiés la lettre du Roi Stanislas, qui a dû:
On est surpris dis je que Vous citiés cette lettre comme pour apposer le seau de la Vérité à ce qui est dit de préjudiciable à la Gloire de Pierre ir, dans l'histoire de Charles XII, qui n'est liée avec celle-ci, que par les événemens de la guerre. Voilà les traits, Monsieur, par les quels on tâche d'envénimer ma joie et de me faire du tort. Quant aux rémarques que j'ai pris la liberté de Vous communiquer ci-devant, je Vous prie d'employer celles que Vous jugerés absolument de conséquence. Je me tais sur d'autres très pétites observations, qui ne méritent pas Vos peines. J'appréhende d'avoir déjà trop abusé de Vôtre amitié, mais les âmes élevées comme la Vôtre sont ennemies de toute dissimulation, voilà ce qui me fait espérer que Vous pardonnérés à mon coeur, s'il a parlé avec trop de franchise. A moins que de savoir ce qu'il m'en a coûté pour Vous fatiguer de raisonnemens, qui peut-être Vous paraitront de peu de poid, Vous ne sauriés concevoir Monsieur quelle serait ma joïe de voir sortir de Presse une nouvelle Edition sous le nom du grand VOLTAIRE. Elle égalerait ma réconnaissance, et celle de tous ceux qui participent à la Gloire de Pierre le Grand. Je compte Vous envoyer dans peu encore quelques mémoires. Agréés Monsieur, ces 260 empreintes du Portrait qui doit présenter à la Postérité les traits du Héros, dont Vous lui rétracés les faits. J'attends avec impatience le Vôtre. Il me consolera en quelque façon de la douleur de ne pouvoir Vous assurer de bouche de la vénération avec la quelle je suis,
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
J. Schouvallow