1757-12-23, de Count Ivan Ivanovich Shuvalov à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

J'avais déjà reçu sans savoir d'où elle venait, L'eau cordiale de Colladon, lorsque vôtre lettre m'a appris que je vous étais redevable de cette galanterie.
Je vous en remercie sensiblement, & vais m'étudier à trouver quelque production de nôtre païs qui puisse aussi vous être agréable. A l'égard des mémoires que je suis engagé à vous fournir Monsieur, n'imputés mes délais qu'à la longueur des recherches que je m'aplique à faire avec beaucoup de soin pour la vérité d'une histoire fameuse par elle même & par la plûme qui veut bien se charger de L'écrire. J'espère dans peu vous envoïer des matières: j'aurais eû le plaisir de vous écrire plus fréquement, si je n'avais craint de vous dérober un tems précieux au public & à la Postérité; je souhaiterais fort monsieur que vous voulussiés m'en consacrer quelques instans; vos Lettres me sont aussi chères que vos ouvrages, je vous prie d'en être persuadé et de m'accorder souvent le plaisir de recevoir de vos nouvelles; je vous prierais même si je ne craignais d'être importun de vouloir bien y joindre quelques unes de vos réflexions sur L'état présent de L'Europe; L'on m'a dit que peutêtre vous travaïlleriés L'histoire de la guerre actuelle comme vous avés fait celle de 1741, en ce cas je serais flatté de vous fournir toutes Les circonstançes concernant les opérations de nôtre armée; enfin monsieur comme vôtre plume ne peut pas être oisive, sur quelque genre qu'elle se soit exercée, je serais bien content d'en posséder le manuscrit: j'y puiserais cette vérité Lumineuse qui distingue tout ce qui vient de vous. Je compte que ma demande ne vous sera pas désagréable, elle est une suite des sentimens particuliers d'estime et de considération avec laquelle je suis parfaitement

Monsieur

Vôtre très humble et très obéïssant serviteur

J. Schouvallow