1758-03-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Béat Fidèle Antoine Jean Dominique de La Tour-Châtillon, baron de Zurlauben.

Vous me donnez Monsieur une extrême envie de vous obéir, mais vous ne pouvez me donner le talent de faire quelque chose d'heureux, qui remplisse votre idée, et qui plaise au public et à vous.
La langue française n'est guères propre aux inscriptions et aux épigrafes. Cependant si vous en voulez souffrir une médiocre à la tête d'un bon livre et au bas du portrait du duc de Rohan, en voici une que je hazarde uniquement pour obéir à vos ordres. Puisqu'il s'agit du petit pays, et de la petite guerre de la Valteline ne trouvez pas mauvais que je trouve le téâtre petit. C'est assez que votre héros ne le soit pas.

Sur un plus grand téâtre il aurait dû paraître.
Il agit en héros, en sage il écrivit.
Il fut même un grand homme en combattant son maitre
Et plus grand lors qu'il le servit.

Vous voudriez sans doute de meilleurs vers, Monsieur, et moy aussi, mais il y a longtemps que j'ay renoncé à rimer. Une chose à laquelle je sens que je ne renoncerai jamais c'est aux sentiments d'estime que je vous dois et à l'envie de vous plaire; pardonnez cette courte prose et ces plats vers à un pauvre malade. J'ay l'honneur d'être bien respectueusement

Monsieur

votre très humble et très obéisst serviteur

Voltaire