à Lausane 7 mars [1758]
En réponse de votre lettre du 26 fév., homme audessus de votre siècle et de votre pays, renvoyez moy mes guenilles.
Mr Dargental me les fera tenir comme il poura, à moins que vous ne puissiez encor les faire contresigner Malzerbes. Si on reprend la charue mal attelée de l'enciclopedie, et qu'on veuille de ces articles je les renverrai corrigez. Je ne cesse d'exhorter à tout quitter, à déclarer qu'on ne veut point ramer aux galères. Je suis convaincu que trois mille souscripteurs vous redemanderont à grands cris, et que la voix publique sera votre protection. Si vous êtes unis, si on tient ferme, vous serez maîtres absolus. Sinon, on sera esclave des libraires, des censeurs et des sots.
Diderot parle de ses engagements avec les libraires. C'est à eux à recevoir vos ordres et les siens. Il parle d'une trentaine de mille livres. Vous en auriez eu deux cent mille si vous aviez voulu seulement entreprendre l'ouvrage à Lausane. Et peutêtre si on s'entendait, si on avait du courage, si on osait prendre une résolution on pourait très bien finir ici l'enciclopédie, l'imprimer icy aussi bien qu'à Paris, envoier les tomes à Briasson, qui ensuite donnerait aux souscripteurs les volumes des planches qu'on peut graver à Paris sans que la Sorbonne et les jesuittes s'en mêlent. Si on était assez peu de son siècle et de son pays pour prendre ce party, j'y mettrais la moitié de mon bien. J'aurais de quoy vous loger tous, et très bien. Je voudrais venir à bout de cette affaire et mourir guaiment.
Berne, Zurik et la Batavie crient que la vénérable compagnie qui s'est fait rendre compte de votre article et qui, ouï le raport, a donné son édit, est plus que socinienne, mais cela ne fait aucune sensation. Nous jouons la comédie à Lausane, et par dieu, mieux qu'à Paris, et on la joue dans tous les cantons, dans tous les villages. Nous avons établi l'empire des plaisirs et les prétres sont oubliez.
Plût à dieu que les enciclopédistes pussent s'établir parmi nous! Ils seraient reçus à bras ouverts, mais ils n'en sauront jamais jusques là. Ils resteront à Paris, persécutez et mal payez.
Quels sont les cuistres, les faquins, les misérables, les téologiens qui osent dire que j'ay aprouvé ce qu'on a vomi contre l'enciclopédie, c'est à dire contre moy? Que tout me fait aimer mon lac! et que je sens mon bonheur dans toutte son étendue!
Apropos vous avez dit je ne sçais où dans l'enciclopédie, ou du moins fait entendre que les lettres de Leibnits produittes par Kœnig n'étaient pas de Leibnits. Volf les avait vües et reconües, et il me l'a écrit. Comptez qu'on ne vaut pas mieux à Berlin qu'à Paris, et qu'il n'y a de bon que la liberté.
Qu'esce que c'est qu'un citoyen de Geneve qui se dit libre et qui va se mettre au pain d'un fermier général dans un bois, comme un blérau? Vale et me ama.
V.