Pourquoi, mon illustre maître, ne m'avez-vous pas envoié le neuvième volume de l'enciclopédie?
Croyez-vous que persone prenne plus de part que moi au sort de Gargantua? Je n'ai jamais aimé les mangeurs d'homes et depuis que j'ai vu dans vos ouvrages qu'il avait mangé six pèlerins en salade, Je L'ai pris en aversion, lui, son abaie et tous ceux qui en vivent.
Les druides dont je vous ai parlé ne seront pas imprimés. Il y a eu des retranchemens à faire après la première représentation. M. Watelet, m. Thomas les ont faits en présence de l'auteur à qui le mauvais succès de sa première représentation avait ôté le Courage. J'étois avec eux. M. Bergier a eu la bonté d'écrire que nous étions des enciclopédistes, qui avions en une après dinée fait trois ou quatre Cent vers impies pour assurer le succès de la pièce. Ce Bergier l'avait approuvée l'année dernière, mais toutes les bégueules titrées l'ayant trouvée irréligieuse lors qu'on l'a jouée à Versailles et lui ayant fait des reproches, il a dit que ce n'était plus la même. Nous l'avons convaincu d'avoir menti, et voilà qu'il est regardé dans son parti come un Confesseur. On le compare aux saints pères qui mentaient si effrontément pour la foi et il aura une grosse pension sur l'abbaie de Thélème à la première promotion. En attendant on a défendu à sa sollicitation l'impression et La représentation du même ouvrage qu'il avait aprouvé. Assurément cet home aurait encore besoin qu'on lui donnât des Conseils raisonables.
Notre ami est secrétaire perpétuel de l'académie française. Les ennemis de la philosophie ont fait une belle défense, mais les soldats de Gedeon vaincront toujours les Madianites en les éblouissant à force de Lumière. Vous savez sans doute le détail de tout cela. On parle des meurs et des principes que doivent avoir ceux qu'on recevra à l'avenir et les gens qui ont sollicité Cette lettre, ou qui y applaudissent sont le Mal de Richelier, le Paulmi, le Seguier, et l'abbé de Voisenon.
Adieu, mon illustre maitre, envoiez-moi ce neuvième volume pour que je ne me croie pas oublié de vous. Présentez, je vous supplie, mon respect à Madame Denis. Si le brave ennemi des tyrans du mont Jura est à Fernei rapelez-moi dans son souvenir. Les marchands de croquet azime se plaignent que le comerce tombe tous les ans. Les femes même ont l'estomac trop faible pour faire un déjeuner aussi solide.
La lecture ne vaut assurément rien pour l'estomac, et il faut que d'ici à quelque tems le commerce des livres soit arrêté ou que celui des croquets cesse absolument. Voilà les nouvelles du tems. Je n'en ai point de meilleurs à vous mander.
Ce Mardi dit vulgairement le Mardi saint [14 April 1772]
rue de Bourbon, f. b. s. G.