1758-02-22, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].

Je suis un Etourdi, mon très aimable ami, quoyque je ne sois plus en âge de l'Estre; je vous ay envoyay une autre lettreà la place de cellecy; comme j'ay pris la peine de la faire, j'espère que vous voudrés bien avoir la patience de la lire.

Cent embaras qu'on ne peut dire
Sont venus déranger le plan
Que j'avois de commencer l'an
Par le plaisir de vous écrire.
Quand je crois tout expédié,
Et que libre de cette chaine,
Le penchant vers vous me ramène
Dans les bras de l'amitié,
La peur suspend mon pas rapide….
Je vis, puisque je vous chéris:
Mais, quand à Virgile j'écris,
Il est permis d'estre timide.
Il est aisé de vous aimer;
Vous aimant, on ne peut le taire:
Vous le disant, comment vous plaire
Sans l'art heureux de l'exprimer?
Seroit ce en vers, seroit ce en Prose?
Vos chants déprisent nos chansons.
Séduisant dans ses moindres sons,
Vostre stile uni m'en impose.
Tendre ami que le sentiment
Me tienne lieu des soins du stile,
La soeur de Marthe, en l'Evangile,
Plut par son seul attachement.