1744-07-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Jean François Hénault.
O Déesse de la santé,
Fille de la sobriété,
Et mère des plaisirs du sage;
Qui sur le matin de notre âge
Fais briller ta vive clarté,
Et répands la sérénité
Sur le soir d'un jour plein d'orage!
O déesse exauce mes vœux!
Que ton étoile favorable
Conduise ce mortel aimable!
Il est si digne d'être heureux.
Sur Henaut tous les autres dieux
Versent la source inépuisable
De leurs dons les plus prétieux.
Toy qui seule tiendrais lieu d'eux,
Serais tu seule inexorable?
Ramène à ses amis charmants,
Ramène à ses belles demeures,
Ce bel esprit de tous les temps,
Cet homme de touttes les heures.
Orne pour luy, pour luy suspends
La course rapide du temps,
Il en fait un si bel usage!
Les devoirs et les agréments
En font chez luy l'heureux partage.
Les femmes l'ont pris si souvent
Pour un ignorant agréable,
Les gens en us pour un savant,
Et le dieu jouflu de la table
Pour un connaisseur si gourmand.
Qu'il vive autant que son ouvrage,
Qu'il vive autant que tous les rois
Dont il nous peint les exploits
Et la faiblesse et le courage,
Les mœurs, les passions, les loix
Sans erreur et sans verbiage!
Qu'un bon estomac soit le prix
De son cœur, de son caractère,
De ses chansons, de ses écrits!
Il a tout, il a l'art de plaire,
L'art de nous donner du plaisir,
L'art si peu connu de jouir;
Mais il n'a rien, s'il ne digère.
Grand dieu je ne m'étonne pas,
Qu'un ennuieux, un Desfontaine,
Entouré dans son galetas
De ses livres rongez des rats,
Nous endormant dorme sans peine
Et que le bouc soit gros et gras.
Jamais Eglé, jamais Arrie,
Jamais Lise à soupé ne prie
Un pédant à citations
Sans goust, sans grâce et sans génie.
Hélas les indigestions
Sont pour la bonne compagnie.

Après cet himne à la santé que je fais du meilleur de mon cœur soufrez monsieur que j'y ajoute mentalement un petit gloria patri pour moy. J'ay autant de besoin d'elle que vous, mais c'étoit de vous que j'étois le plus occupé. Qu'elle commence par vous donner ses faveurs comme de raison. Buvez gaiment vos eaux et revenez vite à Cirey avant que les houzards autrichiens viennent en Lorraine vous prier à soupé. Souvenez vous que dans la foule de ceux qui vous aiment il y a deux cœurs icy qui méritent que vous vous arrêtiez sur la route. Permettez moy de faire mes compliments à votre Esculape.

V.