1777-03-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Philippe Gudin de La Brenellerie.

J'ay reçu monsieur du directeur de L'imprimerie des Deux Ponts un livre dont je viens de faire la lecture avec madame Denis et quelques amis.
Nous admirions la multitude des connaissances de l'auteur, cette philosophie hardie à la fois et circomspecte qui règne dans l'ouvrage et ce stile si clair, si noble, si simple, si éloigné de l'affectation, de l'obscurité, de la violence qui caractérisent aujourdui l'esprit du siècle. Nous disions unanimement que ce siècle aurait d'éternelles obligations à l'auteur. Nous avons craint seulement que son extrême indulgence pour deux ou trois personages vivants ne fît un peu de tort à son goust. C'est ainsi que j'ai pensé quoy que je fusse pénétré d'estime et de reconnaissance pour l'auteur inconnu. Nous cherchions à le deviner, lors qu'une lettre de M. Dargental nous a appris son nom. Je sçais enfin qui je dois remercier et qui mérite les aplaudissements de la nation. Ce livre sera chéri de quiconque aime les beaux arts; il encouragera ces arts plus que ne peut faire la protection des rois.

Je vais bientôt quitter monsieur le siècle et la patrie que vous rendez célèbres, je mourrai en les aimant mieux, mais surtout avec les sentiments que je vous dois. J'en suis pénétré, me Denis les partage de tout son cœur.

votre t. h. ob. serv.

le vieux malade de Ferney