1757-04-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

La bonté de votre cœur vous fait regretter un ministre; et celle de votre esprit vous met en état de vous passer de tout ministre.
Votre altesse sérénissime saura conserver en paix ses états dans la guerre qui les environne. On dit que Hanovre donne enfin l'exemple de la neutralité. Si cela est vrai, c'est une nouvelle bien importante. Je voudrais espérer pour l'intérest du genre humain que cette neutralité pût acheminer à une bonne paix. Mais l'armée française dans le pays de Cleves et dans Vezel ne permet pas de douter qu'il y ait àprésent d'autre chemin à la paix que celuy de la guerre. J'avoue que j'ay peine à voir la véritable raison pour la quelle le Roy de Prusse a évacué une place telle que Vezel. Elle me parut il y a quelques années très bien fortifiée. Rien n'y manquait. Elle pouvait arréter une armée au moins six semaines. A t'il eu un besoin pressant de ses trouppes qui gardaient cette place? ou veut il attirer les français en Vestphalie et peutêtre sous Magdebourg pour leur livrer bataille avec avantage? je me garderai bien de vouloir rien deviner. Votre altesse sérénissime pourait m'éclairer si elle daignait m'honorer de ses lumières. Mais jusques là je suis dans une entière obscurité. On fait plus de libelles en vers et en prose contre le Roy de Prusse, qu'il n'y a de régiments qui marchent contre luy. Je me flatte qu'il ne me soupçonnera d'aucun de ces indignes ouvrages. Il m'a rendu touttes ses bontez. Il sait combien je le respecte, et heureusement il a trop de goust pour m'imputer ces sottises qui sont indignes d'un honnête homme, et même d'un écrivain médiocre. Ce n'est point aux particuliers à se méler des querelles des princes. La seule chose dont je me mêle madame est d'être attaché pour ma vie à votre altesse se, à toutte votre auguste maison avec le plus profond et le plus tendre respect. Elle me permet de ne pas oublier la gre maîtresse des cœurs.

V.