1757-02-16, de Fedor Pavlovich Veselovsky à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Je n'ignore pas combien un éloge de la part d'un particulier, quelque juste qu'il soit, doit peu toucher un goût aussi délicat qu'est le vôtre, particulièrement après ceux dont toute l'Europe éclairée vous a comblé; mais quand j'aurai l'honneur de vous apprendre, qu'il n'y a point de pays, où votre mérite, vos talents et votre rare génie soient mieux reconnus, plus honorés et admirés, qu'en Russie, ma patrie, je me flatte, que cette nouvelle connaissance ne vous sera pas indifférente.
J'y ajouterai encore que parmi tous vos admirateurs, il est une personne de la cour des plus distinguées par ses vertus, ses lumières et son haut rang qui en est le plus pénétré: c'est mr le comte Jean de Schouwaloff, chambellan et lieutenant général de sa mté imp. Ce seigneur, zêlé pour l'honneur de sa patrie et pour la gloire de Pierre le grand, est persuadé comme moi qu'on ne pourrait rendre un service plus signalé à la Russie qu'en vous engageant, monsieur, à écrire l'histoire du règne de ce grand monarque. Quel ouvrage plus digne de vous et quelle plume plus digne de ce héros, pour transmettre sa gloire à la postérité?

Ce seigneur, ne pouvant se flatter de vous attirer dans sa patrie pour mettre la main à un tel ouvrage, espère que dans votre retraite ici vous n'aurez aucune répugnance d'entreprendre cette histoire qui ne fera qu'ajouter un nouveau lustre à votre brillante réputation et qui vous sera d'autant plus facile à exécuter que ce seigneur pourra vous envoyer tous les mémoires et les matériaux nécessaires; il y a d'ailleurs une collection des médailles en or des principaux événements du règne de Pierre le grand qui pourrait vous aider dans cet ouvrage et qu'il m'a chargé de vous offrir, monsieur, comme une marque d'amitié et d'estime qu'il a pour vous. En vous les faisant parvenir, il serait flatté que vous les agréassiez. Je ne saurais, monsieur, vous exprimer la satisfaction que je ressens de m'acquitter d'une commission aussi flatteuse pour moi; rien ne peut l'égaler que l'espérance que j'ai de pouvoir réussir dans ma négociation; vous voudrez bien me faire la faveur de me marquer votre intention et celle d'agréer les assurances des sentiments de la plus haute estime avec lesquels j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant etc.