1757-01-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Je vois mon compte, mon cher correspondant, je vois mon petit pécule que vous avez la bonté de gouverner.
Il faut cette petite ressource contre la mauvaise humeur des rois.

Probablement c'est le courier qui a été retardé par le Daim, qui vous portait une petite lettre de change de Cadix. Vous devez actuellement l'avoir reçüe, et en avoir fait une petite apostille.

On me mande de Vienne que l'impératrice aura en Boheme 160 m. hommes, que les russes viennent au nombre de cent mille. On attend les francs. Jamais l'empire romain n'a mis tant de monde en campagne; et il s'agit d'une chétive province que l'empire romain ignorait; et un marquis de Brandebourg a une plus grande armée que Scipion, Pompee et Cesar.

Vous ne me mandez rien du fanatisme des pharisiens et des parisiens. Il y a pourtant eü des placards. On a arrêté baucoup de monde. On a mené à la conciergerie quatre chariots couverts remplis d'assassins, de cuistres, de témoins vrais ou faux. Vous ètes trop réservé avec vos amis. Il n'y a personne qui ne puisse mander avec bienséance les suittes de l'attentat commis contre un Roy pour qui tous les français excepté Pierre Damien d'Arras, donneraient leur vie. Je n'abuse point de vos nouvelles. Vous pouvez m'écrire en toutte sûreté et en toutte liberté. Je suis persuadé que vous étes plus à portée que personne d'être instruit. Ayez pitié de deux solitaires discrets qui vous sont tendrement attachez.

V.