1757-05-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Je reçois toujours mon cher monsieur des marques de votre amitié, et plus vous m'en donnez, moins je dois en abuser.
Si votre intention a été de prendre des billets de lotterie pour moy en envoiant à mr du Vergier mes 25000lt en lettres sur mr de la Leu et si vous avez des billets de reste, j'en accepterai cinquante. Mais je dois en vous remerciant de cette attention, vous prévenir, que je fais un petit marché avec L'Electeur palatin qui poura bien aller à cent trente mille livres, et que ce marché sera conclu probablement à la fin du mois. Il me faudra environ onze mille livres vers ce temps là pour payer ma maison du Chêne à Lausane, et environ autant pour me meubler sans préjudice du courant auquel je pourai pourvoir quelques mois. Je compte mon cher Monsieur que le capital qui est entre vos mains se monte à environ 524 mille livres indépendemment des intérêts de 445 millelt.

Il y aurait donc une opération à faire au commencement de juin, supposé comme je le crois que le traitté avec son Alt. Elect. ait lieu. J'aurais sur vous monsieur à vue de pays au commencement de juin en comptant 5 mois d'intérest des 445 m.lt, environ 532000lt sans préjudice de quelques lettres de change de Cadix que j'aurai à vous envoier. Tout cela est peu poétique je l'avoue. Mais comptons. De ces 532 m.lt, il en faudrait détacher tout d'un coup tant pour un Electeur que pour vos avances de ma maison du Chêne et autres frais, 152 m.lt. Il ne resterait que 370 m.lt entre vos mains, et si sur ces 370 m.lt, vous aviez eu la bonté de me réserver 50 billets de lotterie, il ne vous resterait que 340 m.lt de mon petit pécule.

De ces 340 m.lt vous pouriez en garder 300 m. à 4 pr % et réserver 40 m. pr le courant et pour les fantaisies.

Voiez mon cher monsieur ce qui vous sera convenable. Faittes comme vous le jugerez à propos. Je vous expose ma situation. Ayez la bonté d'en décider.

Encor faudra t'il je crois donner 240lt à mr Le Beau, conseiller au parlement de Dijon, pour un bon tonnau de vin de Bourgogne.

Madame Denis est pénétrée de reconnaissance et admire toujours le succez de ses téméritez avec vous. Voicy le marché du cuir à salle à manger, salle dans la quelle je voudrais vous tenir avec tous vos aimables Tronchins.

Mr Camp à qui je fais bien mes compliments poura vous mander des nouvelles de quelques batailles qui ne grossiront pas la foire de Leipsik. On parle déjà de deux. On dit les autrichiens battus, mais c'est à Geneve qu'on le dit, et il faut attendre le boiteux Vivons tranquiles. Laissons les rois faire égorger des originaux à 4lt par jour et conservez votre amitié à votre concierge.

V.

Les Délices n'ont jamais été si jolies. Ah que vous aurez un jour de péches et de figues!