1757-01-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Votre altesse sérénissime a peutêtre reçu ou du moins recevra bientôt un essay sur l'histoire générale depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Je mets à ses pieds le premier exemplaire. Il n'a pas une belle couverture. Mais j'aurais attendu trop longtemps à vous rendre mon hommage. Il se passe actuellement madame des choses qui nous paraissent bien étonnantes, bien funestes, mais si on lit les événements des autres siècles, on y voit encor de plus grandes calamitez. Tous les temps ont été marqués par des malheurs publics. L'ambition a toujours bouleversé la terre, et deux ou trois personnes ont toujours fait le malheur de deux ou trois cent mille. La relation dont votre altesse sérénissime daigne me parler dans sa dernière lettre n'était point dans son paquet. Mais je présume que c'est la même qui se vend publiquement dans notre Suisse. Touttes les pièces de ce grand procez s'impriment icy. Mais qui jugera ce procez? la fortune; et probablement cette fortune dépend baucoup des baionettes et de la discipline militaire. On disait que les prussiens s'emparaient d'Erford. Ce bruit se trouve faux. Mais ce qui est vray c'est qu'Erford devait appartenir à votre auguste maison. Je ne fais point de réflexions, je fais des vœux [et] tous mes vœux sont pour le bonheur d'une princesse dont je regrette la présence tous les jours de ma vie, dont les éloges sont sans cesse dans la bouche de tous ceux qui ont approché d'elle et dont mon cœur sera toujours le sujet. Ah si je pouvais quitter une famille qui a tout quitté pour moy! je sçai bien où j'irais porter mon profond respect.

V.