1756-08-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Élisabeth de La Vergne, comte de Tressan.

Vous êtes donc comme messieurs vos parents que j'ai eu l'honneur de connaître très gourmands.
Vous en avez été malade. Je suis pénétré, monsieur, de votre souvenir, je m'intéresse à votre santé, à vos plaisirs, à votre gloire, à tout ce qui vous touche. Je prends la liberté de vous ennuyer de tout mon cœur. Vous avez fait vraiment une œuvre pie de continuer les aventures de Jeanne, et je serais charmé de voir un si saint ouvrage de votre façon. Pour moi qui suis dans un état à ne plus toucher aux pucelles je serai enchanté qu'un homme aussi fait pour elles que vous l'êtes, daigne faire ce que je ne peux plus tenter. Tâchez de me faire tenir comme vous pourrez cette honnête besogne qui adoucira ma cacochyme vieillesse. Je n'ai point eu la force d'aller à Plombieres. Cela n'est bon que pour les gens qui se portent bien, ou pour les demi-malades.

J'ai actuellement chez moi m. d'Alembert, votre ami et très digne de l'être. Je voudrais bien que vous fissiez quelque jour le même honneur à mes petites Délices. Vous êtes assez philosophe pour ne pas dédaigner mon ermitage.

Je vous crois plus que jamais sur les Anglais. Je ne puis comprendre comment ces dogues là qui, dites vous, se battirent si mal à Dettingue vinrent pourtant à bout de vous battre. Il est vrai que depuis ce temps là, vous le leur avez bien rendu. Il faut bien que chacun ait sont tour dans ce monde.

Pour l'Académie françoise ou française et les autres académies, je ne sais quand ce sera leur tour. Vous ferez toujours bien de l'honneur à celles dont vous serez. Quelle est la société qui ne cherchera pas à posséder celui qui fait le charme de la société?

Dieu donne longue vie au roi de Pologne! Dieu vous le conserve, ce bon prince qui passe sa journée à faire du bien et qui dieu merci n'a que cela à faire! Je vous supplie de me mettre à ses pieds. Je veux faire un petit bâtiment chinois, à son honneur, dans mon petiti jardin. Je ferai un bois, un petit Chandeu grand comme la main, et je le lui dédierai.

Melle Clairon est à Lyon, elle joue comme un ange des Idamé, des Mérope, des Zaïre, des Alzire. Cependant je ne vais point la voir. Si je faisais des voyages ce serait pour vous, pour avoir encore la consolation de rendre mes respects à made de Boufflers, et à ceux qui daignent se souvenir de moi. Vous jugez bien que si je renonce à la Lorraine, je renonce aussi à Paris, où je pourrais aller comme à Geneve, mais qui n'est pas fait pour un vieux malade planteur de choux.

Comptez toujours, monsieur, sur les regrets et le tendre attachement de V.