1756-07-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Mon attachement, ma sensibilité extrême pour tout ce qui intéresse votre Altesse sérénissime avaient prévenu la bonté que vous avez eue de daigner me parler de votre perte.
Je suis persuadé qu'elle éprouve tous les jours de nouvelles consolations dans des enfans si chers, si dignes d'elle, et si bien élevez. Elle les voit croître sous ses yeux, elle est témoin de leurs progrès. Ce sera là madame le plus solide plaisir de votre vie. D'autres vont le chercher à Venise et à Naples. Mais le bonheur réel est dans vous. Il est dans votre esprit sage et élevé, il est dans la satisfaction d'être aimée. J'y compte pour baucoup la grande maitresse des cœurs. Je me flatte que les allarmes sur sa santé sont évanouies.

On a reconnu dans Paris que les mémoires de madame de Maintenon sont autant d'impostures, et que ses lettres qui sont véritablement d'elle ne contiennent pas baucoup d'anecdotes intéressantes. Je suis persuadé qu'un esprit comme le vôtre s'amusera peu de tous ces détails inutiles.

La prise de Port Mahon, et les nouvaux traittez occupent l'Europe davantage. Un homme de l'académie des sciences de Paris nommé l'abbé du Guast a voulu la faire trembler, il a prédit un tremblement de terre pour le neuf de ce mois. Je me flatte qu'il n'aura pas été profète.

Ce fameux Tronchin qui a été à Paris inoculer nos princes et guérir tant de personnes, est chez moy actuellement avec une de mes nièces qu'il a tirée des portes de la mort. J'aurais bien voulu qu'il eût été à Gotha dans ses voiages. C'est véritablement un grand homme mais je suis encor plus incurable qu'il n'est habile. Il faut se soumettre à sa destinée. La mienne madame est d'être dévoué à votre altesse se et à toutte votre auguste famille avec le plus profond respect, et le plus tendre attachement.