1760-02-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Que ne doi-je point à la coquette infidèle et à Alzire.
Elles m'ont valu de la part de votre Altesse sérénissime des lettres dont je fais plus de cas que de la coquéterie et des tragédies. Je m'imagine que votre auguste et charmante famille a fait bien de l'honneur à L'Amerique, il faut donc àprésent chercher son plaisir dans un nouvau monde. L'ancien ne fournit aujourdui que des spectacles d'horreur trop vrais et trop réels pour s'en amuser. Il est bien singulier que les poésies du philosophe de Sans soucy paraissent précisément dans ce temps cy. Je ne sçais pas comment les ministres de la confession d'Augsbourg et ceux de Genève prendront une certaine épître au maréchal Keit, dans la quelle le Roy philosophe assure que L'âme est très mortelle, et ces petits vers

Allez lâches crétiens . . . etc.

Cependant le Roy de Prusse ne paraît pas être à la tête d'une armée d'épicuriens. Il paraît plutôt suivi de soldats stoïciens, tant il les a acoutumez à braver les peines de cette vie, apparemment dans l'espérance d'une meilleure, quoy qu'il en soit il faut absolument avoir cent mille braves gens à son service quand on écrit de telles choses. Le R. de P. est hardi, l'épée et la plume à la main. Mais comment finira tout cecy? vaincra t'il tous ses ennemis, et autrichiens et russes, et téologiens? Maupertui aurait résolu ce problème, car il prétendait qu'on pouvait prédire l'avenir en exaltant son âme. Il a apparemment laissé son secret aux deux capucins entre les quels il est mort à Bâle.

Madame, je n'exalte point mon âme mais je la sens très tourmentée de la douleur de n'être pas à vos pieds. L'espérance console ce pauvre suisse

V.