1756-03-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange vous avez raison; il vaudrait mieux faire des tragédies, que des poèmes sur les malheurs de Lisbonne et sur la loy naturelle.
Ces deux ouvrages sont donc imprimez à Paris pleins de lacunes et de fautes ridicules! et on est exposé à la criaillerie! Madame de Fontaine a dû vous donner il y a longtemps le poème sur la loy naturelle. On luy a donné le titre de relligion naturelle. A la bonne heure. Mais il fallait l'imprimer plus correct. C'est une faible esquisse que je craionay pour le roy de Prusse il y a près de trois ans, précisément avant la brouillerie. La markgrave de Bareuth en a donné des copies, et j'en suis fâché pour plus d'une raison. Que faire? Il faudra le publier après y avoir mis sagement la dernière main.

J'en fais autant de la jérémiade sur Lisbonne. C'est actuellement un poème de 250 vers. Il est raisoné et je le crois très raisonable. Je suis fâché d'attaquer mon ami Pope mais c'est en l'admirant. Je n'ay peur que d'être trop ortodoxe, par ce que cela ne me sied pas. Mais la résignation à l'être suprême sied toujours bien.

Encor une fois, une tragédie vaudrait mieux, mais le génie poétique est libre et commande. Il faut attendre l'inspiration.

Je vous avais supplié mon cher ange de parler à Mr de Méniere, mais l'affaire dont il était question est en bon train et ce n'est pas la peine de l'importuner. Adieu, je vous embrasse, je travaille. Comment vous portez vous? Pourquoy me négligez vous? Comment va le pied de Me Dargental?

J'aprends qu'on a imprimé la rell. naturelle à me la Duchesse de Gotha aussi bien que celle au roy de Prusse. Je me vois comme l'âne de Buridan.