1756-03-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.


Poème sur Lisbonne, après ce vers

Sans pouvoir un moment nous voir et nous connaître,
Quelquefois dans nos jours consacrez aux douleurs
Par la main du plaisir nous essuions nos pleurs.
Mais le plaisir s'envole et passe comme une ombre.
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes sont sans nombre.
Le passé n'est pour nous qu'un triste souvenir;
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir;
Si la nuit du tombeau détruit l'être qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà mon espérance.
Tout est bien aujourdui, voilà l'illusion.
Les sages me trompaient, et dieu seul a raison.
Humble dans mes soupirs, soumis dans ma soufrance,
Je n'interroge point la suprême puissance.
Sur un ton moins lugubre on me vit autrefois
Chanter de nos plaisirs les séduisantes loix.
Instruit par les douleurs, instruit par la vieillesse,
Des malheureux humains déplorant la faiblesse,
Mon cœur compatissant gémit sans murmurer,
Sans accuser le dieu que je dois implorer.