1756-03-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

En arrivant mon cher et humain philosophe à mes petites Délices, j'ay été instruit des plaintes injustes que forme icy un libraire.
Je conçois que tout libraire doit aspirer à vous imprimer, mais que ceux de votre pays doivent avoir la préférence. Ensuitte on vous imprimera partout. J'attends avec la plus grande impatience votre dissertation sur les tremblements de terre. Vous connaissez si bien les montagnes que vous devez connaitre aussi les cavernes. Vous nous instruirez sur tous les recoins de notre habitation et principalement sur le grand architecte qui l'a bâtie. Je reviendray le plustot que je pourai à mon petit hermitage de Monrion, après quoy je compte venir vous aporter à Berne et soumettre à votre jugement et à celui de M. le b. de Freidenrick mes réveries dont vous avez voulu voir l'ébauche. Vous verrez que j'aurai profité de vous sages et judicieuses réflexions. Il est vrai que des vers ne sont que des vers; c'est à dire des bagatelles difficiles dans les quelles on ne s'exprime pas toujours comme on voudrait. Je vous supplie de ne montrer à personne ces misères. Votre prose me dégoûte un peu de la poésie. Il est honteux à mon âge de songer à des rimes. Je ne dois penser qu'à vivre obscur et tranquile, et à mourir avec confiance dans la bonté infinie de notre comun maitre dont vous parlez si noblement.

Je vous embrasse bien tendrement.

Ve

Je reçois dans ce moment cette brochure sur les tremblements de terre. Je me flatte avec raison que vous nous donnerez des conjectures plus satisfaisantes.

Cette dissertation me ramène encor au tout est bien.

Je sçai que dans nos jours consacrez aux douleurs
Par la main du plaisir nous essuions nos pleurs.
Mais le plaisir s'envole et passe comme une ombre,
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes sont sans nombre,
Le passé n'est pour nous qu'un triste souvenir,
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir,
Si la nuit du tombeau détruit l'être qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance.
Tout est bien aujourdui, voilà l'illusion.
Les sages se trompaient et Dieu seul a raison etc.

Voilà à peu près comme je voudrais finir, mais il est bien difficile de dire en vers tout ce qu'on voudrait. Ayez la bonté de communiquer cette esquisse à votre respectable ami.

Voicy de beaux jours. Je ne m'en porte pas mieux. Conservez votre santé et aimez moy.

Ve