[December 1758]
Voylà, sire, ce que ma douleur me dicta quelque temps après le premier saisissement dont je fus accablé à la mort de ma protectrice. J'envoye ces vers à vt m. puisqu'elle L'ordonne. Je suis vieux, elle s'en appercevra bien. Mais le cœur qui sera toujours à vous et à l'adorable sœur que vous pleurez ne vieillira jamais. Je n'ay pu m'empêcher de me souvenir dans ces faibles vers des efforts que cette digne princesse avait tentez pour rendre la paix à l'Europe. Touttes ses lettres (vous le savez sans doute) avaient passé par moy. Le ministre qui pensait absolument comme elle et qui ne put luy répondre que par une lettre qu'on luy dicta en est mort de chagrin. Je vois avec douleur, dans ma vieillesse accablée d'infirmitez tout ce qui se passe, et je me console parce que j'espère que vous serez aussi heureux que vous méritez de l'être. Le médecin Tronchin dit que votre colique hémorroïdale n'est point dangereuse, mais il craint que tant de travaux n'altèrent votre sang. Cet homme est sûrement le plus grand médecin de l'Europe, le seul qui connaisse la nature. Il m'avait assuré qu'il y avait du remède pour l'état de votre auguste sœur six mois avant sa mort. Je fis ce que je pus pour engager son A. R. à se mettre entre les mains de Tronchin. Elle se confia à des ignorants entêtez, et Tronchin m'annonça sa mort deux mois avant le moment fatal. Je n'ay jamais senti un désespoir plus vif. Elle est morte victime de la confiance de ceux qui l'ont traittée. Conservez vous sire car vous êtes nécessaire aux hommes.