1756-02-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Antoine Claude Briasson.

Avant de travailler à l'article français, il serait bon que quelque homme zélé pour la gloire du dictionnaire encyclopédique, voulût bien se donner la peine d'aller à la Bibliothèque royale, et d'y consulter les manuscrits du dixième et onzième siècle, s'il y en a dans le jargon barbare qui est devenu depuis la langue française.
On pourrait découvrir peut-être, quel est le premier de ces manuscrits qui emploie le mot français au lieu de celui de franc. Ce serait une chose assez curieuse de fixer le temps où nous fûmes débaptisés et où nous devînmes sauvages français, après avoir été sauvages francs, sauvages gaulois et sauvages celtes.

Si le roman de Philomena, écrit au dixième siècle, en langue moitié romance moitié française, se trouve à la Bibliothèque du roi, on y rencontrera peut-être ce que j'indique. L'histoire des ducs de Normandie manuscrite doit être de la fin du onzième siècle, aussi bien que celle de Guillaume au court nez. Ces livres ne peuvent manquer de donner des lumières sur ce point, qui, quoique frivole en lui même, devient important dans un dictionnaire. On verra si ces premiers romans se servent encore du mot franc, ou s'ils adoptent celui de français.

En vérité, il n'y a que les gens qui sont à Paris qui puissent travailler avec succès au dictionnaire encyclopédique. Cependant quand je serai de retour à ma maison de campagne près de Genève, je travaillerai de toutes mes forces à histoire.

Je ne doute pas que m. de Montesquieu n'ait profité à l'article goût de l'excellente dissertation qu'Addisson a insérée dans le Spectateur, et qu'il n'ait fait voir que le goût consiste à discerner par un sentiment prompt, l'excellent, le bon, le mauvais, le médiocre souvent mis l'un auprès de l'autre, dans une même page. On en trouve mille exemples dans les meilleurs auteurs, surtout dans les auteurs de génie, comme Corneille.

A propos de goût et de génie, l'éloge de m. de Montesquieu par m. d'Alembert est un ouvrage admirable; il y a confondu les ennemis du genre humain.

Mille sincères et tendres compliments à m. d'Alembert, à m. Diderot, et à tous encyclopédistes.